Alexis Michalik l’a dit très tôt : sa pièce de théâtre, immense triomphe des saisons précédentes sur les planches, fut d’abord un projet cinématographique. Son adaptation à l’écran est donc à voir comme un rétablissement des choses, et moins comme un opportunisme de producteur.


Il faut reconnaître que la dimension cinématographique de l’œuvre est exploitée avec un enthousiasme débordant : la caméra virevolte, tourne autour des personnages jusqu’au vertige, les enlace et prend dès qu’elle le peut une hauteur que ne permet pas la scène. Le cinéma est une extension qui rend palpable le plaisir du spectacle, comme l’indiquent deux scènes qui explicitent son propos : une projection du cinématographe en 1895 à laquelle Rostand assiste, et surtout, l’ultime scène de la pièce Cyrano filmée sur le principe de la captation avant de devenir, comme par magie, une adaptation cinématographique dans des décors réels, sans public.


Cela ne se fera pas évidemment sans quelques petites pesanteurs, à l’œuvre dans tant de récits d’époque : la charge de la reconstitution est un peu trop ostentatoire, et le Paris en CGI des premières séquences semble tout droit sorti d’un Disney. Mais là aussi, l’illusion du spectacle est assumée.


Car le propos concerne donc avant tout le théâtre, et cette pièce mythique du répertoire français. La première intelligence de Michalik consiste à repose l’œuvre dans son contexte, à savoir bien après les grandes heures du théâtre romantique, alors que Feydeau et Courteline remportent tous les suffrages. Les vers sont désuets, et l’on veut du boulevard. La malice de l’auteur est de jouer sur ces deux tendances opposées pour l’écriture du récit encadrant. Pour Edmond, chaque situation est le support d’une inspiration, et son amour du beau langage avec une muse platonique qui pourrait devenir sa maîtresse occasionne une exploration du lyrisme de la pièce. Ce n’est pas toujours très subtil (par exemple, pour les illustrations un peu mécaniques de la tirade du nez), voire blasphématoire (la chute grotesque de la scène du balcon), mais le double récit est amusant car il pose la question de la différence entre un mythe littéraire et la vie réelle.


L’autre procédé consiste à intégrer des situations proprement boulevardières dans la vie de cette troupe, notamment lors d’une scène typique mettant Feydeau lui-même en scène, pour bien jouer de la mise en abyme.
Et sur ce point, l’enthousiasme l’emporte : l’œuvre s’écrit sous nos yeux dans un rythme trépident, portée par des comédiens qui, puisqu’on leur permet de satiriser leur profession, s’en donnent à cœur joie. Olivier Gourmet l’emporte ainsi haut la main, et Mathilde Seigner ne démérite pas, mais c’est surtout une œuvre collective dans laquelle les seconds et troisièmes rôles abondent, tous croqués avec justesse, et distribués dans une écriture dramatique dénuée de tout temps mort.


Alors que la pièce Cyrano elle-même reste encore boudée des fins lettrés, cet hommage où chaque scène renvoie au texte et les références sont constantes affirme une admiration pour une œuvre immortelle. Edmond est surtout enthousiaste : pour le théâtre, pour le travail d’équipe, affirmant une foi aussi naïve qu’essentielle dans la capacité des œuvres à fédérer, émouvoir et affirmer des valeurs. Le rôle déterminant accordé à Honoré, cafetier noir et inspirateur de la grandeur meurtrie de Cyrano, en est l’un des emblèmes : du XVIIème au XIXème, des planches à la projection, chaque époque trouvera son panache.

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le 14 janv. 2019

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Sergent_Pepper

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