Si l’on me proposait un chèque, si l’on faisait appel à ma fibre patriotique, si l’on me demandait de défendre la jeunesse du cinéma national, si l’on me menaçait avec un objet contondant, je pourrais sans peine défendre Eden.
Pour qui aurait apprécié les deux premiers films de Mia Hansen-Løve, on retrouve cette obsession discrète pour ce mystère opaque qu’est la destinée sentimentale ; traité avec une distance mêlée de grâce et un respect pour l’indicible, voyant défiler dans le temps (comme dans Un amour de Jeunesse) un individu qui n’a pas le recul de la cinéaste pour prendre la mesure des vagues qui l’assiègent, et souvent l’érodent.
Le projet d’inclure cette trajectoire au sein de la fébrile vague French Touch des années 90/2000 a tout d’un projet excitant, d’autant que la réalisatrice y raconte la destinée de son frère, coscénariste du film. Aux soirées géantes, aux raves collectives, aux infrabasses vibrantes, elle accole le parcours intime d’un de ses chefs d’orchestre voué à sombrer dans l’oubli, par le prisme de ses amours, son rapport à la drogue, l’argent et la nuit. A l’ascension fulgurante des Daft Punk, qui émaillent le film d’apparitions de plus en plus fugaces, elle oppose la descente d’un inadapté que la musique enferme.
Aisé, donc, de saluer toute l’entreprise. Mais ce mélange des genres est justement le principal handicap du film.
Un biopic, qui plus est générationnel, appelle un souffle, une immersion qui fait cruellement défaut. On en vient à regretter le formatage à l’américaine sur ce genre de sujet (dont je me plaindrais sans doute si je le retrouvais….), qui a au moins le mérite de distiller en enthousiasme et de restituer la fièvre d’un instant dont on veut faire percevoir la singularité.
Ici, la platitude est confondante. Alternance mécanique de soirées et d’histoire de bande, mais surtout de couple, sans aspérité, joué avec une distance qu’on se bornera à qualifier de française pour ne pas être trop grossier, le film se déroule sans qu’on y décèle jamais un véritable propos, une quelconque vibration (ce qui, vous en conviendrez, est pour le moins gênant dans un récit traitant de la French Touch).
Les conséquences sur la longueur en sont fatales : les 2h11 du film sont proprement interminables, et il faut attendre les 20 dernières minutes pour que le personnage prenne dans son échec patent une véritable épaisseur.
La jolie mise en scène de Mia Hansen-Løve, non ostentatoire, fondée sur des poursuites dans la foule et la musique tonitruante, a beau s’échiner à capter les corps et sonder les cœurs, rien ne transpire vraiment.
Objet ambitieux, vaste et bondé comme un boite de nuit parisienne, Eden semble prometteur et branché, mais refuse l’entrée à un très grand nombre de spectateurs, qui se les gèlent très longtemps devant sa porte avant de rentrer chez eux, dépités.

Créée

le 24 nov. 2014

Critique lue 1.7K fois

40 j'aime

6 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

40
6

D'autres avis sur Eden

Eden
Sergent_Pepper
4

Refoulés

Si l’on me proposait un chèque, si l’on faisait appel à ma fibre patriotique, si l’on me demandait de défendre la jeunesse du cinéma national, si l’on me menaçait avec un objet contondant, je...

le 24 nov. 2014

40 j'aime

6

Eden
BorisCCP
3

Y a-t-il un scénariste dans l'avion ?

J'ai assisté à l'avant-première du fameux. Okay, ce film a été long à faire, a été un investissement et a une dimension familiale puisque finalement Paul c'est un peu le frère de la réalisatrice...

le 14 nov. 2014

35 j'aime

3

Eden
goldie
8

Cold fever

Petit matin de rave en grande couronne parisienne. Paul marche quelques minutes en forêt auprès d’un groupe d’Anglaises – il s’égare volontairement, s’assoit sous un arbre, pour quelques minutes qui...

le 22 oct. 2014

24 j'aime

7

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

766 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53