Dune, avant d'être une série et un jeu-vidéo, est un roman écrit par le journaliste Frank Herbert, en 1965, ayant eu l'idée de la fameuse planète fictive Arrakis surnommé «Dune» et ses complots après avoir été reporter sur les dunes de sable de l'Oregon, aux USA, et comment l'on tenta de les altérer artificiellement. En découle donc une série de romans, un récit fleuve, se déroulant sur un grand laps de temps, et abordant de nombreuses thématiques assez fouillées tel que l'écologie, l'héritage, la religion, le colonialisme, etc...
Réputé inadaptable, le roman connut de nombreux projets, tel que le fantasme psychédélique du franco-chilien Alejandro Jodorowsky ou le ratage industriel de Lynch, sans, auparavant, aucune réussite, mais influençant tout de même grandement la culture populaire, que ce soit Alien, le huitième passager (les dessins du Dune de Jodorowsky y ont servis) ou Star Wars, dont le principe de la «Force» découle entièrement de l’œuvre de Herbert.
Alors quand le projet d'une nouvelle adaptation fut annoncée par Legendary Pictures la peur d'un nouvel échec était présente. Dune peut-il réellement être un film, ou est-il condamnée à rester une œuvre quasi-mythique, inatteignable, intouchable? Nous avons eu la réponse il y a peu de temps: ce que les autres ont rêvés, Denis Villeneuve l'a fait.


Ce qui manquait sûrement à l’œuvre de Lynch, c'était la notion de spectacle. On a bien tenté d'attirer les gens en mettant Sting au casting, mais le Dune du réalisateur d'Eraserhead était voué à l'échec tant son style n'attire pas le grand public et s'accorde mal au roman, tant également la narration lente et expérimental du cinéaste ne permet pas l'adaptation, en un film qui plus est, d'un roman de plus de 700 pages.
Denis Villeneuve, lui, n'est pas un surréaliste, et réalise des films bien plus terre-à-terre, linéaires, grands publics, et en même temps abordant de nombreux thèmes bien plus profonds qu'il n'y paraît: il n'y a qu'à voir Blade Runner 2049, film d'action passionnant et impressionnant au possible. Villeneuve était le réalisateur parfait pour Dune, entre réflexion et action, et ne restait plus que le problème de la lenteur qu'on attribua à 2049: Villeneuve pourrait-il être un bon conteur, ou n'est-il qu'un cinéaste esthète?
La réponse est simple, du haut de ses deux heures et demie, Dune est certainement un immense spectacle populaire, et c'est certainement une des facultés les plus difficiles et exceptionnelles: réaliser un film qui soit à la fois grandement divertissant, un film qui parle au grand public (qui, si il n'était pas présent pour 2049, viendra certainement plus à la vue de Timothée Chalamet, étonnement bon ici, et de Zendaya et sera, espérons-le, plus réceptif), mais également un film qui aille plus loin que la plupart des blockbusters traditionnels. Du spectacle total, de l'art populaire. C'est ce que fut Ad Astra il y a peu sans réussir à attirer les foules malheureusement, c'est ce que fut Matrix à l'orée des années 90, c'est ce que fut Star Wars en 1977 et c'est ce que fut 2001: l'Odyssée de l'Espace.
Si ces deux films semblent bien éloignés de nos jours, le premier étant réputé par son longueur aujourd'hui, alors que l'on ne peut voir un film de science-fiction qui n'ait moins d'une scène d'action toutes les vingt minutes sans se plaindre de «l'ennui», il ne faut pas oublier le succès exceptionnel que le film de Kubrick avait eu alors, un vrai film populaire attirant toutes générations devant l'admiration, la contemplation de l'espace. Surtout, les deux films (et chefs-d’œuvres) ont en commun une même vision du cinéma: un art qui est avant-tout visuel, avec peu de dialogues (plus dans Dune que dans 2001 bien sûr, mais pas tant que cela quand on y réfléchit), une expérience sensorielle, émotionnelle, qui se comprend intérieurement plutôt qu'intellectuellement. «J'ai essayé de créer une expérience visuelle qui aille au-delà des étiquettes verbalisées et pénètre directement le subconscient avec un contenu émotionnel et philosophique.» dit Stanley Kubrick à propos de son film. Si Dune est loin de la perfection totale de 2001, il peut tout de même s'appliquer à cette citation et à cette conception du cinéma. Un cinéma qui ne s'analyse pas avec de belles phrases de critiques, mais qui se ressent.


C'est de loin ce qui marque le plus Dune, le ressenti, que Villeneuve moule. Comme Hitchcock jouait avec les émotions de ses spectateurs, Villeneuve nous emmène totalement à Arrakis, loin des effets-spéciaux moches de celui de 1984, au plus près du réel fictif, dans un désert qui n'a jamais été aussi bien filmé, si ce n'est dans Lawrence d'Arabie. Il tourne à la lumière naturelle, dans des conditions naturelles, et fait de sa terre hostile un territoire immense au ciel d'un bleu non pas symbole de vie comme on peut l'établir, mais ici de désespoir, de mort, un bleu-blanc fade, uniforme, qui nuance avec la vision traditionnelle du désert «à la Tintin» comme il le dit lui-même. Une terre qui ne rentre, qui ne peut rentrer, dans le cadre. Sur ce point Villeneuve excelle véritablement, dans une mise en scène qui joue constamment avec les échelles, les notions de grandeur, et use véritablement du ressort des vers de sable, avalant tout entier des containers faisant la taille de plusieurs avions de ligne, des vers de sable qui semblent presque dévorer la terre.


Mais la planète de Dune n'est pas qu'un vaste territoire brute inhabitée, mais bien un monde civilisé, habité par les fremen, mais surtout par les colonisateurs qui vont et viennent. De ce point de vue là Villeneuve excelle à représenter la fracture entre des habitants à la vie archaïque, d'où ressort bien sûr une forte influence islamique, et des colonisateurs apportant technologies et une architecture bien plus neutre: des lignes droites, carrés, loin des cavernes tortueuses, des structures hostiles que Villeneuve film dans une photographie excellente avec le directeur de la photographie Greig Faser qui avait déjà œuvré sur Rogue One, et dans une froideur que l'on a tendance à lui reprocher, mais qui sert totalement ce récit loin de tout manichéisme, avec ses complots géopolitiques et ses nombreuses manipulations.
Exposant ainsi cette civilisation colonisatrice, Villeneuve nous montre ainsi surtout sa destruction, pour le mal comme pour le bien, lors de l'attaque des Harkonnens. Ne reste alors plus que la violence, la peur, que l'on enseigne au début à Paul de s'en affranchir («I must not fear»), émotions animales, un véritable retour à la source: il faut apprendre à s'affranchir du luxe du palais, apprendre à survivre dans le désert, en symbiose avec la terre, tel cette petite souris. Le sous-texte écologique est grand, bien qu'il sera encore une fois plus développé dans le prochain, et il évident que Villeneuve incorpore bien plus les thèmes du roman, se les accapare, que Lynch.


Car Villeneuve réussit ce qui était finalement le plus difficile: la narration. Que faut-il inclure et que faut-il ne pas inclure? Quand faut-il accélérer le rythme et quand faut-il le ralentir? Comment, dans le plus simple et pourtant complexe sens, raconter une histoire au spectateur ?
Sans qu'il n'y insiste lourdement, Villeneuve parvient à nous introduire naturellement, sans aucun effort apparent, tout ce qui entoure l'univers d'Herbert, comme si tout allez de soi. Comme dans 2001 encore une fois, d'où sans que l'on ait forcément besoin de l'analyser en profondeur durant des heures sort une grandeur philosophique, Dune nous transmet une sensation d'extase hypnotique, de quelque chose qui nous surpasse, surplombant le spectateur.


Cela passe ainsi donc, comme évoqué précédemment, par la mise en scène, la photographie, la musique, mais aussi par les plus petits détails, ces textures, ces sensations minimes et pourtant si primordiales que Villeneuve parvient à capter avec excellence. Ces hélicoptères par exemple: combien de fois avez-vous des hélicoptères atterrirent au cinéma, de la manière la plus tape-à-l’œil possible, sous le bruit assourdissant des pales? Et bien aucun de ces atterrissages n'égaleront ceux de Dune, tant le cinéaste québécois parvient à nous mettre véritablement dans l'action, non pas au moyen d'une 3D abscons, mais par le simple grandiose pouvoir de la mise en scène que peu des cinéastes hollywoodiens œuvrant dans le cinéma d'action parviennent réellement à utiliser. Ces réalisateurs filment des plans, mais n'en captent pas l'essence: les Marvels ont beau accumuler des scènes de plus en plus immenses, avec des budgets faramineux, jamais ils n'en tirent ne serait-ce qu'une once de grandiose, jamais ils ne font d'une bataille entre des colosses quelque chose de brutal, d’impressionnant, mais uniquement une bouillie visuelle, sans impact. C'est là la différence majeure avec Denis Villeneuve, qui, avec un budget plutôt mineur finalement (165 millions de dollars contre 356 pour Avengers: Endgame), parvient à faire de son Dune un film à couper le souffle, du grandiose comme on en a rarement vu ces derniers temps, une véritable fête des sens.


En ce sens, Dune est bel et bien un pur chef-d’œuvre: alors qu'Hollywood est en pleine crise, en plein questionnement sur la VOD et l'expérience de la salle, alors que le cinéma populaire s'est résumé ces dernières années à une franchise de films d'une neutralité ennuyante sans nom, frôlant souvent la médiocrité et atteignant rarement l'originalité et la qualité, cette épopée aride se révèle être un véritable acte de bravoure, grand film de cinéma populaire, et Denis Villeneuve pourrait bien être dans les derniers auteurs démiurges de la Mecque du cinéma.
Sur tous les défauts que la critique avança, le seul qu'atteint alors Dune, c'est bien sa fin, forcément décevante puisqu'elle nous laisse dans une seconde horrible attente... Mais était-il concevable de retomber dans une adaptation unique d'un si long et passionnant roman? Après tout, «c'est à l'heure du commencement qu'il faut tout particulièrement veiller à ce que les équilibres soient précis»: Villeneuve semble avoir capitalisé sur cette citation du Muad'Dib, à raison.

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le 26 sept. 2021

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