Faire des conditions de tournage un argument de vente de son œuvre peut s’avérer payant : Ulmer a ainsi prétendu que son film Détour, à l’origine une simple série B de 68 minutes, avait été tourné en une semaine pour un budget dérisoire, accentuant ainsi son mérite pour ce petit film qui fut assez remarqué en son temps. Des recherches plus récentes montrent que sa durée et son financement étaient en réalité 4 à 5 fois supérieurs.


Détour n’en est pas moins assez sympathique, et sa modestie peut effectivement jouer en sa faveur. Film noir on ne peut plus conventionnel, on y retrouve tous les codes : une voix off, une destinée tragique et une femme fatale.
Cette cavale funeste voit donc un autostoppeur prendre l’identité de son chauffeur, mort accidentellement dans son sommeil. L’idée reste la même dans la quasi-totalité des films noirs : la mise en place d’un plan qui va forcément se craqueler de toutes parts. Ici, c’est la présence de la femme et de son avidité qui va faire basculer ce qui n’était au départ qu’un camouflage.


Détour joue particulièrement la carte de la tragédie, notamment dans son recours à la voix off, qui n’hésite pas à sur-expliciter les situations, voire à s’adresser au spectateur et à la façon dont il pourra juger de la crédibilité de la situation ou de la foi à accorder au narrateur.
Procédé habile, parce qu’il devance les critiques qu’on pourrait effectivement formuler face à cette intrigue un peu tirée par les cheveux, et rendue caricaturale par des personnages qui manquent singulièrement d’épaisseur : entre le protagoniste embarqué malgré lui et un peu trop passif et la vamp cumulant vénalité et manipulations, la greffe opère assez difficilement.


Pour mineur qu’il soit, le film est un témoignage tout à fait pertinent de la production américaine des années 40 : dans sa rapidité, son efficacité, et de la façon dont elle parvient à faire tourner la machine à codification qu’est le film noir.

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le 16 sept. 2020

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Sergent_Pepper

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