Il faut bien l’admettre : un certain nombre de films, en adaptant des succès de librairie, nous dispensent de lire des livres. On se rattrape ainsi, en deux heures et quelques, de ce qui s’est fait de mieux ces dernières années en termes d’intrigues, d’idées farfelues, d’univers d’heroic fantasy ou de sujets de société incontournables.


Avec Désigné coupable, on dépassera donc le titre digne d’une troisième partie de soirée sur M6 pour s’intéresser à un sujet extrêmement fort, à savoir la réelle incarcération de Mohamedou Ould Slahi à Guantanamo, suite aux soupçons de sa participation aux attentats du 11 septembre. Son calvaire, ses conditions de détention, la violence de ses interrogatoires et l’opacité du gouvernement américain y sont ainsi décryptés sans ménagements, et si l’on en connaissait évidemment la réalité, ce témoignage précis la rend plus prégnante, révoltante, et nécessaire. On y comprendra l’aveuglement d’une administration, la mécanique glaciale qui rend invisible un individu, et la manière dont on bafoue toutes les valeurs au profit d’une « freedom » qui rend la vérité inaccessible.


Désigné Coupable est l’adaptation d’un livre écrit par Ould Slahi lui-même, durant sa détention, et qui rencontra à sa publication toute l’attention qu’il méritait. La question se pose donc de l’utilité de la voir porter à l’écran. L’élargissement de l’audience – dont une part de la jeunesse, sans doute, qui pourra y trouver des réponses dans la radicalisation des discours et les ravages croissants de la xénophobie, est une première bonne raison. Pour les autres, on y verra l’occasion pour des comédiens de livrer des performances remarquées : Tahar Rahim et Jodie Foster font le job de manière très convaincante, et Cumberbach les rejoint pour ce type de rôle qui amènent nécessairement la sympathie du public par ce gage de l’histoire vraie dont ils sont issus.
Reste le réalisateur Kevin Macdonald documentariste à succès et déjà responsable du poussif Dernier Roi d’Ecosse, qui n’hésite pas longtemps face au matériau qui s’offre à lui : autant mettre tous les curseurs dans le rouge pour aller chercher les derniers résistants au pathos. Si la mécanique d’écriture non linéaire est efficace, elle n’en est pas moins assez putassière, réservant la révélation des tortures pour la fin, alors qu’on imagine bien que le détenu ne l’avait pas cachée à ses avocats. La complaisance dans la forme donnée à ces séquences, la grossièreté des procédés pour diviser les castes (Guantanamo d’un côté, les salons cossus et les restaurants chics pour le gouvernement), les flashbacks en filtres Instagram alignent un catalogue formel de débutant, qui semble n’avoir pas confiance dans le sujet qu’il traite, et forcé de le surligner en permanence. Ce qui est une très ostentatoire façon de s’en rendre tout simplement indigne.

Sergent_Pepper
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le 2 août 2021

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