C'est comme si une malédiction pesait sur la caverne du Pitch : plus les yeux s'allument quand on raconte "l'idée de départ", plus on risque d'être déçu à l'arrivée. Et cela peut-être pour une simple raison : la richesse du virtuel (qui flotte sur des océans vagues de potentialités imprécises) aura toujours raison de la sèche matérialité close de l'actualisé.

Buried illustre ce point doublement :

1/ extra-diégétiquement : son idée de départ est incontestablement son principal argument de vente, et le produit fini, obligé de trancher parmi tous les possibles pour constituer un récit, est moins fort, moins subjuguant, moins poétique en somme que le simple résumé de la situation.

2/ intra-diégétiquement : un homme enfermé dans une caisse (l'actuel = étouffant, étroit, borné, monotone, obscur) ne pourrait "s'en sortir" qu'avec l'aide de l'extérieur, auquel ne le relie qu'un téléphone portable ( un monde sonore virtuel = fuyant, incertain, prolifique, qu'il faudrait pouvoir apprivoiser mais qui ne fait que se disperser, se multiplier, et glisser entre nos désirs comme des grains de sable indisciplinés).

D'ailleurs, le principal problème de Paul l'enterré, qui se cogne contre les parois du réel, c'est qu'il doit raconter sans cesse sa situation (et il n'y a pas d'autre mot, Paul est "situé", il n'est même plus que ça). Et en la racontant, il en change involontairement la nature, il la transforme en la transmettant. Car cette situation, il n'y a que lui qui la vive, à peine transmué en mots, voilà que son calvaire devient une histoire. Le contraste est amèrement comique : ses interlocuteurs n'arrêtent pas de lui poser des questions sur le pourquoi et le comment de sa mésaventure, imaginations fertiles qui semblent entrevoir des mystères et des complots, là où la réponse furieuse de Paul est toujours la même : "mais on s'en fout ! Je suis enterré vivant, sortez-moi de là".


Ainsi la seule réussite du film est peut-être dans son échec même : geste impossible et impuissant de l'entêté Concret contre l'éthéré Abstrait, lente description d'un combat (perdu d'avance) dans un terrier bouché (un monde en guerre où quoi que l'on fasse cela revient à choisir son camp), démonstration par l'absurde que les coups de boutoir de "l'efficace" ne vaudront jamais les caresses de "la suggestion".
Chaiev
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Death or No

Créée

le 28 nov. 2010

Critique lue 1.6K fois

59 j'aime

30 commentaires

Chaiev

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

59
30

D'autres avis sur Buried

Buried
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Buried par Le Blog Du Cinéma

Question : quels sont les points communs entre Cube, Saw, Devil, Frozen et Exam ? Ce sont tous des films à petit budget, dont le titre tient en un seul mot, et qui tournent autour du même concept :...

le 21 oct. 2010

43 j'aime

4

Buried
Sergent_Pepper
6

Big cheat under

Le huis clos, c’est connu, est un bon générateur d’angoisse. Désireux de pousser à l’extrême les craintes et la claustrophobie du spectateur, Rodrigo Cortés imagine donc la situation la plus...

le 21 déc. 2016

42 j'aime

5

Buried
LegendMaker
2

Dumbass is Buried (Titre complet)

Je ne vais pas m'étendre sur ce que beaucoup ont déjà observé dans leurs critiques : bonne idée, aurait mieux marché en court/moyen métrage, la scène du serpent WTF etc. Non, je vais m'étendre sur ce...

le 8 avr. 2011

39 j'aime

5

Du même critique

Rashōmon
Chaiev
8

Mensonges d'une nuit d'été

Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...

le 24 janv. 2011

283 j'aime

24

The Grand Budapest Hotel
Chaiev
10

Le coup de grâce

Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...

le 27 févr. 2014

268 j'aime

36

Spring Breakers
Chaiev
5

Une saison en enfer

Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...

le 9 mars 2013

244 j'aime

74