« Dans votre ascension professionnelle, soyez toujours très gentil pour ceux que vous dépassez en montant. Vous les retrouverez au même endroit en redescendant.  »
Woody Allen

La fin de l'année 2013 semble avoir trouvé sa muse. Après avoir été choisie comme égérie du nouveau parfum Giorgio Armani, séduisante et souriante, c'est un grand monsieur du cinéma que Cate Blanchett inspire : Woody Allen. « Si à un nouveau départ » dit-elle, en italien dans le texte, dans la publicité ( signée par la réalisatrice Anne Fontaine - Perfect Mothers - ). Un nouveau départ, c'est également ce à quoi son personnage, Jasmine ( ou Jeannette pour les intimes ) va être confrontée dans Blue Jasmine.

Un an après To Rome with Love et deux ans après Minuit à Paris, Woody Allen est de retour dans le pays mère. Exit New-York, c'est à San Fransisco que le plus névrosé des New-yorkais et son héroïne non moins dérangée posent leurs valises. En effet, après la mort de son riche truand de mari Hal ( Alec Baldwin ), Jasmine, ruinée et démunie, part rejoindre sa soeur Ginger ( Sally Hawkins ) dans son petit appartement à San Fransisco. Loin de la vie de palace, Jasmine retrouve la dure loi de la vie. Entre une dépression nerveuse qui l'a fait parler seule dans la rue ( ce qui n'est pas sans rappeler Boris Yelnikoff dans Whatever works ), un petit boulot chez un dentiste collant et des études reprises, le film nous montre la descente d'une femme glaciale à qui tout souriait.

La salle s'assombrit, les gens se taisent ( si vous avez de la chance ) et la musique commence. Du jazz. Au son de trompettes et de clarinettes ( chères au réalisateur ), nous le savons, pas de doute possible : nous sommes chez Woody Allen. Le film débute avec une Cate Blanchett monologuant sur sa vie. Dans la veine de ses films plus anciens ( Annie Hall ou Manhattan, pour n'en citer que deux ), le réalisateur renoue avec ce qu'il maitrise le mieux, les mots. Habitué au rôle du narrateur, il passe ici le relais de la névrose et de la crise à son actrice. Il laisse même toute la place à celle-ci, on ne voit que Cate Blanchett qui est époustouflante. A l'inverse de To Rome with Love ou Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, films à sketchs légers et drôles, reposant sur un castings de mastodontes, Blue Jasmine se concentre sur une femme. Et quelle femme ! A la fois d'une froideur presque aristocratique, sac Vuitton et robe Dior à l'appui, et frôlant la folie, Xanax et Stoli Martini aidant, Jasmine nous entraîne dans sa chute.

La caméra ne semble d'ailleurs jamais quitter ce monstre d'égoïsme et de suffisance que l'on aime détester, voire plaindre. De nombreux gros plans mettent en lumière le talent de l'actrice qui n'a jamais été aussi glaçante. Ses yeux nous transpercent et montrent toute la détresse et le mépris du personnage, nous plongeant parfois dans un profond malaise. La caméra vient ensuite suivre à l'aide de longs travellings les différentes actions. Elle glisse le long des personnages et les accompagne dans les rues modestes comme dans les plus beaux appartements. Nous sommes alors pris dans un tourbillon de sentiments et de ressentiments.

Sentiments et ressentiments sont bel et bien les maîtres mots ici. Blue Jasmine est la confrontation de deux univers : celui des gens fortunés et raffinés ( qui trichent ) et celui des gens moins chanceux, ne s'élevant jamais dans la société ( mais honnêtes ). Les seconds rôles prennent alors toute leur place et excellent. Le duo des sœurs est étonnant et fonctionne à merveille, l'une enviant l'autre, l'autre ruinant l'une financièrement. Ginger représente la femme qui trime pour élever ses deux enfants, ne s'accompagnant que d'hommes médiocres. Jasmine est la femme d'ambition, épouse d'un businessman fermant les yeux sur ses affaires louches pour mieux jouer les maitresses de maison. Tout les oppose et à travers des moments forts et des petits instants d'humour, nous apprenons à les connaître et à découvrir leurs failles. Et le moins que l'on puisse dire c'est que la plus à plaindre n'est pas forcément celle que l'on croit.

Woody Allen renoue alors avec un style de film qu'il avait un peu perdu au fil des années, préférant des films plus légers et distrayant. Blue Jasmine est un film profond, traitant d'abord d'amour et de névroses ( thèmes que l'on retrouve beaucoup chez Allen ), mais également d'ambitions et de la vie tout simplement. Il nous fait réfléchir sur les différents parcours qui s'offrent à nous dans la vie. Il offre à Cate Blanchett un podium pour exceller et nous surprendre alors même que son talent n'était plus à prouver.

Au rythme d'un film par an, Woody Allen montre qu'il est toujours à la hauteur. Vrai boulimique de cinéma, le réalisateur américain n'a pas attendu la sortie de Blue Jasmine pour repartir une nouvelle fois en tournage ( en France, s'il vous plaît ! ). En 2014, il devrait donc nous livrer une comédie romantique basée dans le sud de la France, avec comme protagonistes ni plus ni moins que Colin Firth et Emma Stone. Aucun doute, le plus jazzy des réalisateurs n'a pas de quoi avoir le blues.


Morgane Jeannesson.
MorganeJ
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le 28 sept. 2013

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