«Tu étais un gros poisson dans une petite mare, mais ici, c’est l’océan et tu te nois.»

Si Burton semblait s’être perdu dans l’industrie purement américaine du cinéma avec La Panète des singes (2001) ou encore Mars Attacks ! (1996), il nous revient plus convaincant dans Big Fish. Alternant projets aux allures commerciales, tels que la franchise Batman et projets très personnels, Edward aux mains d’argents, L’étrange Noël de Mr Jack ou encore Sleepy Hollow, Tim Burton semble signer ici son retour.

Après l’échec de La Planète des singes et des pertes familiales (il perdu son père en 2000 et sa mère e 2003), il est temps pour Burton de se lancer dans un projet personnel, qui lui tient à coeur. Big Fish arrive donc au moment où il semble à bout de souffle, peut-être même lassé par le cinéma.
Il ressemble à un film de réhabilitation d’un cinéaste dans son univers mais aussi d’un fils auprès d’un père dont il n’a jamais été très proche.

«En racontant l’histoire de la vie de mon père, il est impossible de séparer le réel de l’imaginaire, l’homme du mythe»

Nous découvrons donc la fantastique histoire, ou devrait-on dire les histoires, d’Edward Bloom, ancien représentant commercial. Il est tout autant question de ses fables que de la relation tendue qu’il entretient avec son écrivain de fils, William, jeune homme cartésien, blasé et tellement fade. William, lui-même, semble donner le fil rouge de l’intrigue en une phrase toute simple : «Nous étions des étrangers qui se connaissaient très bien». L’un, lassé et l’autre, perdu dans ses illusions, vont s’efforcer de nous conter une succession d’événements, tels qu’ils se sont déroulés ... ou pas.

A première vue, on ne pourrait retrouver que très peu la patte gothique du cinéaste. Il signe un film, presque étrangement, lumineux et plein d’optimisme. Le sourire «ultra bright» du jeune Edward Bloom, interprété avec charme par Ewan McGregor, nous plonge dans une Amérique pleine de bon sentiments (à l’image de la ville de Spectre, véritable prison dorée, qui met quelque peu mal à l’aise)
Mais c’est bien un Tim Burton qui nous est donné à voir, de par les thèmes qu’il aborde (le fantastique face à la triste réalité, les contes, les personnages légendaires et bien sûr la recherche d’identité) et l’esthétique même du film. Bien sûr, son univers semble lissé et policé, on ne retrouve sa signature visuelle sombre que dans quelques scènes, notamment dans la forêt «hantée» ou chez la sorcière.

Le film fonctionne sur une multitude de dualité. Le réel s’oppose à la vie fantasmée (ou pas ?) d’Edward. Il est d’ailleurs à noter que Burton semble s’être comme débarrassé des scènes de «réalité». Elles sont sans grand intérêt, sinon celui d’insérer les différents récits dans un contexte, elles traînent parfois en longueur et on a vite hâte de revenir dans le monde d’Edward. Cette séparation des deux mondes est possible grâce à de superbes duos d’acteurs : Edward senior fait écho au jeune Edward, Sandra senior renvoit à son double plus jeune. Ces duos marchent à merveille tant l’interprétation des uns nourrit l’interprétations des autres, tant est si bien que le passage constant du présent au passé est fluide et agréable. Nous nous attachons à ces personnages ayant garder leur innocence de jeunesse, ils ont eu su rester les mêmes. Tim Burton nous délivre un message optimiste sur la vie, avec comme conseil, pas vraiment nouveau dans son travail : gardez votre innocence, c’est une force.

«Ils n’ont eu que les mots d’Edward pour l’imaginer. Il n’a pas eu besoin d’autre chose, il les a convaincu avec un rêve»

Avec cette innocence d’adulte, cette magie oscillant entre ombre et lumière, propre à l’univers burtonien, nous plongeons dans un livre de contes peuplé d’une foule de personnages légendaires de notre enfance (loup garou, géant, sorcière). Burton se transforme en père qui raconte des histoires à ses enfants le soir, avant de s’endormir. Ce film dégage donc une incroyable douceur familière même si cette histoire n’est pas la nôtre. Le réalisateur se retrouve donc aussi bien dans la figure du père conteur, n’est-ce pas le propre d’un cinéaste que de sublimer le réel, de s’inventer une vie à part ?, que dans celle du fils distant.
Certains diront que ce n’est pas du Burton, bien trop «sentimentalement correct», mais il est indéniable qu’ici il nous livre un film touchant, un film personnel à bien des égards, certes quelques peu différent d’un Edward au mains d’argent plus sombre et critique sur la société (bien que certains plans de Big Fish puissent faire écho à celui ci). Même s’il ne traite pas uniquement le fantastique, il le laisse envahir le film et gagner le combat contre la morne réalité. Tim Burton a bel et bien renoué avec le cinéma qu’il aime, qu’il sait faire, remplis de magie et de nos rêves d’enfants.


Morgane Jeannesson
MorganeJ
9
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le 6 mars 2013

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