The Black Phone, c'est avant tout et surtout le retour de Scott Derrickson dans le genre horrifique. En effet l'homme à qui l'on doit le très bon Sinister revient pour proposer son adaptation d'une nouvelle de Joe Hill du même nom. Retour aux sources gagnant pour Scott Derrickson ? C'est ce qu'on va voir.

Avant toutes choses, de quoi ça cause Black Phone ? C'est l'histoire de Finney, petit garçon de treize ans qui est aussi timide qu'intelligent, survivant dans un petit village rongé par les disparitions de jeunes avoisinant son âge. Son quotidien est brusquement bouleversé le jour où il fait face à l'Attrapeur, le présumé responsable de ces mystérieuses disparitions, qui le kidnappe et l'enferme dans un sous-sol insonorisé. Finney est coincé, sans espoir de revoir un jour les feuilles craquer sous ses pieds, le téléphone débranché se met à sonner.

Donc ouais autant vous dire que rien qu'au pitch, tu sens clairement qu'on n'est pas dans un film réaliste et que, comme avec Sinister, une bascule vers le fantastique va s'opérer en cours de route. Ca, c'est évidemment ce que tu ne te dis pas si t'as échappé aux bandes annonces qui affichent le concept tel qu'il est et si t'ignorait complètement l'existence du projet... ou soit si tu sais pas ce que c'est qu'un titre.
Clairement le film ne mise pas sur le fantastique comme un effet de surprise. C'est même tout à fait le contraire car si les trailers laissaient presque faire paraître un film propice au huis-clos, condensé, il n'en est rien et il est même beaucoup plus étalé et dense que ne le laissait présager la promotion faite autour du film.
Donc non, Black Phone c'est pas qu'un p'tit qu'essaye de se sortir du pétrin, il se passe des choses avant. Et c'est certainement un des aspects les plus intéressants du film malgré qu'il brise quelque peu le côté anxiogène de la séquestration du mioche. Pourtant c'est se voiler la face que de dire que cette oppression se dilate totalement, bien au contraire, cette gêne est partout, même dans la ville.
Et ce n'est pas tant par la présence du kidnappeur (même si ça joue son petit rôle) mais par le climat d'insécurité global qui se montre à l'extérieur du domicile familial, hors des murs, et encore, il se peut même que même ici, on ne se sente pas totalement en sécurité, la faute a un père violent mais on y reviendra plus tard car ce sujet présente un portrait plus nuancé.
L'extérieur en lui-même est source de frayeur. Tout d'abord parce que les racailles de l'école peuvent te tomber dessus à n'importe quel coin de rue, aussi parce que les gens ne sont pas fréquentables. C'est un territoire hostile où il faut véritablement se serrer les coudes, se créer une meute pour survivre. Enfin parce que ce désert n'est autre que le trou du cul du monde où la pauvreté à transformer les gens, c'est une déchetterie d'individus aux cœurs brisés et leurs enfants, grandissant dans ce climat, sont voués aux mêmes destins tragiques.
Une vision beaucoup plus pessimiste et paranoïaque qui si elle rejoint le point de vue d'un Summer of 84 vient surtout foutre un petit coup de pied musclé aux productions qui fantasment cette époque, notamment Stranger Things et toutes les autres que la série a engendrée.
On reconnaît des motifs similaires donc, petite bande à vélo, des geeks, mais le constat et le regard porter sur le contexte est bien différent et dans Black Phone : ça se sent... et ça mine... plus que Summer of 84.

C'est dans ce climat amer que tentera de survivre la sœur de Finney, qui sans son frère, devra s'occuper seule de son père, priant tous les soirs pour pouvoir aider la police. Car oui, cette petite a la faculté de rêver certaines nuits des kidnappings de l'Attrapeur, qui sont également des flashbacks aux grins poussiéreux en pellicule (cc Sinister), un don que son père verra plutôt avec mozarella pour des raisons qui le regarde. Avec une spontanéité qui fait souvent mouche, ces moments plus légers et humoristiques en apparence avec la petite Gwen sont épris d'une veine profondément tragique, la jeune fille s'en remettant à la foi, jetant une bouteille à la mer dans l'espoir de retrouver son frère.
Une des force de Black Phone, c'est sa galerie de personnages. Ces portraits, d'apparences clichés, sont tous nuancés. Le père est certainement l'exemple le plus parlant : alcoolique, violent envers ses enfants, toute cette agressivité et cette addiction subsiste d'un traumatisme qu'il essaye de contenir et de ne surtout pas transmettre à ses enfants. Il n'a pas mauvais fond mais les élevant seul, les poings se sont montrés par la force des choses plus parlants après quelques bières enfilées.
Finney est aussi un bel exemple, c'est la petite victime pas populaire du bahut toute trouvée cependant il cache en réalité des atouts dans sa manche qu'il se défend d'utiliser pour arriver à ses fins, étant pleinement conscient de ses capacités dans certains domaines comme parfaitement ignorant que son éventail de skills est bien plus large qu'il le prétend.

Cette séquestration, c'est donc avant tout une mise à l'épreuve parfaite pour qu'il déploie son plein potentiel, pour qu'il grandisse, qu'il prenne ses responsabilité et qu'il se débrouille par lui-même. Son objectif : se libérer et donc par la force des choses, rester en vie. Après la théorie vient la pratique et ce lieu faisant office de sale du temps, ce réceptacle, cet espace clos l'amènera à se préparer et à s'entraîner pour pouvoir faire face à la menace. Cependant, cet entraînement ne viendra pas tout seul et c'est donc là que le procédé se déploie avec ce téléphone noir aux pouvoirs surnaturels.
Si vous avez vu la bande annonce vous connaissez les propriétés du dispositif mais je n'irais pas plus loin pour les quelques personnes pas au courant que de dire que c'est souvent grâce à ce combiné qu'il trouvera des indices disséminés dans la pièce et qu'au fil des appels, le petit va se créer un puzzle qu'il devra relier pour élaborer un plan finement pensé pour espérer in fine s'échapper.
Une chose pas forcément aisée car sa séquestration répond à certaines règles qui pourront soit le dissuader de continuer son entreprise soit le pousser à la poursuivre.
Car oui, il y a des hics pour chaque personnages, pour Gwen c'est accepter de s'en remettre à la foi, aveuglément, quand bien même son père l'interdit de prêter attention aux rêves qu'elle demande à faire. Dans le cas de Finn, c'est surtout l'Attrapeur mais certains détails peuvent aussi le pousser avec dangerosité à agir contre son intérêt, par exemple il suffit qu'une porte ne soit pas tout à fait fermée pour questionner : est-ce une aubaine ou est-ce un appât ? Reste à savoir s'il se jettera tout seul dans la gueule du loup ou non, comme quoi, sa liberté espérée est soumise à une quantité astronomique de variables.
Une chose qui pour le coup apporte une grosse dose de stress, le spectateur ayant plus d'informations que Finney, le voir douter à agir est frustrant pour nous car chaque choix est crédible, raisonné et raisonnable, il n'y a pas de réelles bonnes décisions, il n'y a que des choix qui mènent ou non à l'objectif et dont nous seuls connaissons les issues.

Et elle est peut être là la plus grosse force de Black Phone, c'est de nous donner un film malin, bien pensé, une toile chirurgicalement tissée qui s'amuse avec les codes du genre horrifique tant éculés et malmenés, pour nous procurer de véritables frissons ou au contraire des sentiments tout à fait contradictoires lors de séquences qui si elles baignent dans cette vibe horrifique, n'en seront pas moins diablement touchantes.
De ce fait, jamais on ne pourra se plaindre de mauvaises décisions comme c'est souvent le cas dans ce genre de films, ici, on a beau en savoir plus et donc avoir la réponse à la question de vie ou de mort qui se présente comme un simili escape game, chaque direction semble bonne à prendre, on ne peut donc pas en vouloir aux protagonistes de faire ou non, les choix qui les rendront malchanceux.
Car tous agissent de manière réfléchies selon les infos qu'on leur donne. Pour Gwen c'est pareil, ses rêves lui permettent d'avoir des informations, cependant elle ne peut pas les traiter, elles n'a aucun recul sur elles contrairement à nous, à l'instar de Finn avec ses appels et une force de plus, c'est que ça ne nous décourage pas non plus, on ne s'ennuie pas à les suivre dans leurs enquêtes. A leap of faith.
Le constat devient frappant et est personnifié dans la pièce qui séquestre Finney, et c'est d'ailleurs même évoqué, une autre direction moins reluisante est à considérer pour rester en vie : ne pas agir. En effet, je vous parlais de règles, et l'une d'entre elle est de rester sagement dans la pièce, on sera ravitaillé de temps en temps et on ne craint rien à-priori, cependant, c'est sacrifier sa liberté pour rester en vie. Le fait est que cette prison sous-terraine s'arque en un lieu de vie contrairement à ce que l'on pourrait penser. On la voit littéralement respirer (oui oui la pièce et aussi son téléphone), c'est une safe zone où les réminiscences t'épaulent, c'est une salle, qui, jusqu'à même ses murs est gravée et taillée par des élans de vie. Et c'est dans cette salle que Finney va devoir trouver la fureur de vivre et non pas un lieu où il rencontrera la mort. La côtoyer oui, mais jamais plus. La mort reprend d'ailleurs vie dans cette cave.
Pour parler horreur, on n'échappe pas aux banalités du genre, Derrickson doit se conformer aux cahier des charges de Blumhouse sauf que ses jumpscares qu'il nous jette à la figure, sont eux aussi plus minutieusement amenés que la moyenne. Si quelques uns sont en plus déjà présents dans les trailers ils jouent toujours avec le spectateur et ses sentiments contradictoires. Souvent, lorsqu'il y a de la tension, il n'y a pas de jumpscare, de facto, nous on stresse pour rien, attendant à se faire surprendre au terme de la mise en tension sauf que non, il ne se passe jamais le fruit de notre stress. Par contre, c'est constamment quand les protagonistes sont en sécurité que le film vient nous attraper. Malin, il vient nous chercher dans ces moments légers avec Gwen, arrivant en contrepoint total avec les répliques décomplexées et l'assurance dont fait preuve la jeune fille. Aussi, c'est précisément dans cette salle dédiée à la vie, où Finney et nous spectateurs sommes en sécurité que le réalisateur vient nous frapper. Derrickson sait parfaitement jouer avec nos attentes, sachant pertinemment quel confort et quel climat chacune de ses séquences nous influencent, pauvres spectateurs.
A tels points qu'à la fin, ça nous semble trop beau, on a du mal à y croire et pire encore : on doute. C'est à notre portée et... est-ce qu'il ne va pas nous jouer un ultime tour ? Une chose à dire : bien joué. Si les screamers sont ce qu'ils sont, pas si efficaces, ça dépend des gens après tout, les effets qu'il induit et sa manière de les préparer sont d'une propreté et d'un soin indéniable.

Quand il y a du savoir-faire, il y a tout ce qu'il faut pour faire un film efficace. S'il est certain que Black Phone n'est pas plus qu'un petit film Blumhouse, il est naturellement un des meilleurs produits qui répond au cahier des charges. Pourtant la patte de Derrickson est là et se fait entendre... qu'est-ce qu'il faut de plus ?

Smathy
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le 22 juin 2022

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