Barberousse (1965) sera la dernière collaboration entre Akira KUROSAWA et son acteur fétiche l'immense Toshirō MIFUNE, comme un écho à leur premier projet commun, L Ange ivre (1948) où la fougue du jeune comédien avait poussé le réalisateur à laisser ce dernier exprimer son art, quitte à modifier sa façon de filmer, Barberousse s'attarde sur le thème sans doute le plus important aux yeux des japonais, celui de la transition et de la transmission du savoir. Oscillant entre traditions et modernité, entre expériences et découvertes.


La confrontation entre le jeune novice, formé à la médecine moderne et pétri de certitudes et le médecin bourru du dispensaire, adepte d'une approche fondée d'avantage sur l'observation et l'humanisme que sur les formations dispensées loin des malades, illustre cette dualité inhérente à cette idée de transmission du savoir. L'un devra s'attacher à comprendre son interlocuteur quand le second devra adapter sa vision, ces remises en questions difficiles seront toutefois les défis majeurs de leur relation et l'ambition de chacun ne pourra se réaliser que ceux-ci relevés.


Kurosawa, exprime clairement au travers de ce récit, comment l'expérience sert à montrer la voie, mais aussi comment la fraicheur de la jeunesse, son insolence, participent à l'évolution de tous, quand l'un canalise, l'autre draine. Sans Mifune, sans doute le cinéma de Kurosawa n'aurait pas évolué vers ce cinéma qui ose, qui tente, qui trébuche parfois, et sans Kurosawa, Mifune n'aurait-il peut-être pas acquis les épaules nécessaires à jouer les rôles qui furent les siens, caractérisés par leurs variétés.


Fable sociale sur le traditionalisme japonais et ses difficultés à changer ses habitudes, même quand cela s'avère inévitable et nécessaire à l'essor du pays, nous rappelant subtilement les tendances historiquement isolationnistes du pays du soleil levant, sa féodalité et une certaine intransigeance envers tout ce qui bouscule la tradition. Pourtant en réduisant l'image du shogun à une simple figure d'autorité dépassée et ignorante des réalités de son peuple, Kurosawa incite le jeune docteur, admirablement interprété par Yūzō KAYAMA à envisager les changements prônés par Barberousse et qui sont déjà à l'oeuvre dans son dispensaire.

Tandis que pour Barberousse, Kurosawa fait appel aux mécanismes de la mémoire et de la culpabilité pour à travers des écarts temporels, des flashbacks quasi surréalistes, pour le faire évoluer.

Par cette ingénieuse subtilité, le film transforme un essai sur la transmission en un échange fructueux tant pour le maître que le disciple.


A noter que c'est avec ce sommet dans sa filmographie que notre cinéaste japonais dira adieux au noir et blanc qu'il a contribué à hisser aux faîtes de l'art - La photographie et la mise en scène de ce seul film suffit à déceler toute l'étendue de sa maîtrise - pour revenir bientôt avec un nouvel outil à utiliser pour encore éblouir nos écrans, la couleur. Là encore le souci d'évoluer entre tradition et modernité.

Spectateur-Lambda
9

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le 22 sept. 2022

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