Alors que vient de sortir dans nos salles le naufrage des Filles du Soleil, il est salutaire de revenir aux sources du cinéma d’Eva Husson, avec ce premier essai livré en 2016, film certes un peu maladroit, mais méritant à plus d’un titre.


Délicat sujet que celui de l’adolescence et son rapport supposément débridé à la sexualité ; ici, au moins, le fait d’avoir une femme derrière la caméra désactive un peu les suspicions libidineuses qu’on peut avoir à l’endroit de certains réalisateurs, et laisser s’installer une vision qui se voudrait sans filtre. Eva Husson s’empare d’un sorte de fait divers en forme de dérapage (des partouzes de lycéens filmées), remontant aux sources et isolant certaines figures pour tenter le prendre le pouls de cette singulière déclaration libertaire. Il ne s’agit évidemment pas de juger, pas plus que d’expliquer ou de décrypter des comportements : pour la réalisatrice, l’ambition serait plutôt de se mettre au diapason d’un souffle aussi naïf que puissant, d’une dynamique qui se creuse à l’abris du monde (loin du lycée, dans une maison désertée par les adultes), un peu contre lui, mais surtout dans une comédie où les rôles qu’on joue sentent le souffre et brûlent les ailes.


Quand on filme des visages, la dynamique collective, la vulgarité explicite et ce théâtre poseur fondé sur une fausse assurance, le film fonctionne, et l’on est prêt à tolérer quelques dialogues trop écrits. Les corps, le silence dans lequel se logent les émois, les frissons, la quête et l’appréhension sont autant d’indices indicibles que la réalisatrice parvient à capturer en plein vol. L’esthétique dans l’air du temps (photo laiteuse, musique électro), parfois un peu trop clipesque, épousent la nonchalance et les contours cotonneux d’un monde à l’écart et permettent une véritable immersion, dans laquelle la fascination le dispute à un certain malaise.


La vibration est donc bien présente, portée par des comédiens unanimement convaincants, et tant qu’il évoque les illusions d’une liberté in progress, (« c’est un truc super vivant, super libre », explique l’une des participantes), le film convainc. Donner le rôle central au garçon mutique et mystérieux dont le passe-temps cathartique se résume à des pogos violents dans une cave n’est pas innocent : c’est bien dans l’absence des mots, dans l’opacité et le secret que se joue la vérité de ces êtres qui se fourvoient par le paraître et la pose.


Malheureusement, les carcans des conventions de l’écriture reprennent un peu trop vite leurs droits. La thématique du triangle amoureux, les extrémités atteintes par les dérapages (MST, grossesses, opprobre généralisée) forcent trop le trait, et s’essoufflent sur une redécouverte du véritable amour un peu trop manichéenne pour réellement convaincre.


Dommage ; on aurait pu se dire que la première œuvre excusait l’épaisseur de certains traits. Malheureusement, le deuxième film d’Eva Husson basculera totalement et exclusivement dans ces travers.

Sergent_Pepper
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le 27 nov. 2018

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