C'est pas que c'est nul, en vrai le film est très bien, mis à part le segment avec Toby Maguire, c'est grandiose, drôle, super dynamique et si on aime le cinéma de Chazelle, je pense qu'on ne pourra que l'apprécier. Mais, après quatre films (n'ayant pas vu Guy and Madeline on a Park Bench) certains patterns et obsessions, qui seront pour certains la marque d'un auteur, commencent surtout à ressembler à de la répétition, un certain manque d'inspiration en plus d'une obsession malsaine pour le « c'était mieux avant ».

Babylon c'est l'histoire d'acteurs importants de la scène hollywoodienne des années 20 qu'on suit de leur ascension à leur chute lorsqu'ils subissent le contrecoup du passage au parlant et c'est un concentré de ce que fait habituellement Damien Chazelle. Des plans longs, une passion pour l'époque hollywoodienne classique, une belle image granuleuse, un travail du rythme millimétré, une musique forcément jazz ultra présente qu'elle soit intra ou extra diégétique, et c'est d'ailleurs ce rythme le véhicule principal des thèmes et de l'histoire en utilisant le plus de techniques de montage possible.

Le film se scinde en deux parties selon le modèle narratif du rise & fall. Au début, successions de plans longs qui virevoltent dans un espace survolté, puis montage parallèle. Montage comique basé sur la répétition, tout ça avec l'impression d'être sous cocaïne pour matcher avec l'ambiance de l'époque. Quand le film arrive dans sa phase descendante, le plan long prend une nouvelle signification avec la raréfaction de la musique, un montage plus classique remplace l'effervescence. L'absurde du début qui provoque le rire par l'absence de conséquences qu'il induit, disparaît pour mettre en avant le drame vécu par les personnages. L'épique laisse de même place à la nostalgie que produit sa disparition. Comme pour La La Land ce changement de paradigme n'est pas en soi un défaut, mais rend fatalement la seconde partie moins palpitante, plus tragique, mélancolique, que la première (chose qui avait déjà déçu à la sortie de La La Land).

Le segment évoqué plus tôt, celui où James McKay (Toby Maguire) amène Manny (Diego Calva) dans la mine, ne fonctionne pas justement parce que c'est une séquence de première partie du film qui se retrouve sans trop de raisons dans la deuxième. Enfin pas exactement sans raisons, on peut trouver une espèce de justification symbolique aux bas fonds où vivent les laissés pour compte de Hollywood. Dans la mine, les spectacles rappellent le cinéma avant la narration, avant qu'il ne soit considéré comme un art, quand c'était une attraction foraine, un spectacle ambulant, de cirque. D'où la présence de bodybuildeurs, de spectacles érotiques, et de personnes atteintes de dysmorphie comme dans les « freak » shows de l'époque.

L'un des éléments les plus divertissants de la première moitié, c'est le traitement des personnages comme sortes de super héros du cinéma, capable par instant pour le besoin de la diégèse d'avoir des capacités d'acteurs surhumains. Comme lors de la scène du serpent dans le désert, qui est elle aussi complètement absurde, quoique encore drôle, les personnages n'étant pas encore soumis aux conséquences de leur propre représentation, éclairés par les phares de voitures qui tiennent le rôle des projecteurs de tournage.

Ou quand Brad Pitt, à la fin d'un tournage, incapable de mettre un pied devant l'autre, semble redevenir sobre comme par magie à l'instant où la caméra se met à tourner.

Mais, lors de cette séquence dans la mine, alors qu'on avait changé de système de mise en scène pour faire peser sur les personnages le poids de la réalité, le héros récupère d'un coup ses privilèges de héros et on finit par ne plus s'inquiéter alors que c'est justement ce qu'on nous demande de faire

(Sachant qu'en parallèle, Brad Pitt se suicide dans un plan séquence vraiment touchant, du coup on a moyennement envie de rire, si l'envie c'était de faire rire).

Au-delà de ce point précis, le film est quand même impressionnant. C'est probablement le meilleur film de Chazelle en termes de direction d'acteurs (ou de surjeu en tout cas), sûrement grâce à sa mise en abyme d'ailleurs. Ils sont tous monstrueux et offrent des performances dignes... de grands classiques hollywoodiens. Ils jouent tous bien trop, ils « se répandent » en « liquides » en tout genre, pour le plaisir du spectacle et le nôtre. Le personnage de Conrad fend le cœur, même dans ses moments les plus toxiques. Il est sûrement le préféré de Chazelle d'ailleurs, preuve en est qu'il est présenté comme un personnage secondaire tout en ayant probablement plus de temps d'écran que Nellie.

Il a cette scène aussi, lorsque son agent a enfin réussi à lui retrouver un rôle après sa chute, en second rôle pour épauler un jeune acteur montant. Ils sont tous au bord de la mer pour le tournage quant à la fin d'une prise, le jeune acteur surexcité, en plus d'être un peu ahuri, s’extasie vivement devant l'océan. D'une manière assez élégante, on adopte le point de vue de Conrad dont le contrechamp ne montre pas la mer mais l'équipe de tournage qui s'affaire, sachant que l'horizon de Conrad ne peut être que le plateau de cinéma.

Cette prévalence de Conrad comme vecteur de notre attachement au vieil Hollywood n'aide d'ailleurs pas le film en seconde partie. On se retrouve avec un traitement des personnages déséquilibré puisqu'en dehors de Conrad, Manny est une feuille blanche alors qu'on suit son point de vue la plupart du temps et Nellie pourtant vachement développée au début, finit aussi par être complètement vide. On aurait aussi aimé voir plus souvent Sidney Palmer (Jovan Adepo) ainsi que Lady Fay Zhu (Li Jun Li) qui à chaque apparition crèvent l'écran par leur charisme, malheureusement pas assez exploité. Même si la scène finale de Sidney Palmer est intense d'horreur et frappe juste par l'opposition entre l'envie de révolte et l'impuissance ressentie (Comme la scène finale de Lady Fay Zhu dans une moindre mesure d'ailleurs), ces deux-là ne sont souvent que présent dans le décor, au détour d'un panoramique, et finissent par quasiment disparaître dans la deuxième moitié du film. Probablement d'ailleurs pour signifier qu'après une certaine époque, Hollywood n'avait pour ainsi dire « plus besoin d'eux ».

Rien qui ne fasse pas sens donc, c'était simplement mon Chazelle de trop. En fait à chaque élément on peut s'émerveiller du grandiose et de la technique, en même temps j'ai l'impression de regarder une caricature et ça m'agace. Je ne vais pas développer plus que ça sur le soin apporté à l'image, je dirai juste que le travail des couleurs, de l'exposition, le grain qu'en tirent Chazelle et Linus Sandgren vont encore au-delà de Whiplash et La La Land. Cependant, cette obsession pour la pellicule caractérise parfaitement ce qui ne va pas. Il a beau dire le contraire, il est trop passéiste.

Techniquement, ce sera certes toujours impressionnant (encore que j'aie des doutes pour First Man, je n'arrive toujours pas à croire qu'ils aient préféré lui donner l'Oscar des meilleurs VFX plutôt que Ready Player One, que pourtant personne n'a oublié), il n'empêche que toujours le scénario prend le côté du personnage nostalgique « laissé pour compte ». À 38 ans c'est quand même triste (A moins que ce ne soit une référence, cette fois à La Prisonnière du Désert ?). Dans Babylon, la confession de fin montre un cinéma auditif riche, fertile de projets merveilleux, de l'autre côté, force est de constater qu'au sein du film, c'est une malédiction. Seul La La Land préfère une conclusion nuancée, ce qui en fait pour moi le plus réussi. Même techniquement, sa passion pour la pellicule lui coûte. En rendant plus difficile la mise au point, plusieurs fois les visages sont flous pendant de longs moments et à répétition pendant le montage. C'était déjà le cas dans First Man (ce à quoi on pouvait rajouter la difficulté de garder une image propre en base luminosité), même si c'est que ponctuel, ça rend certains plans insupportables à regarder.

Je n'avais pas vu Dansons sous la Pluie à la sortie de La La Land mais comme ce film-là en fait des citations plutôt directes. J'ai donc pris la peine de le voir et, surprise, en fait depuis le début Chazelle ne fait qu'un même remake de Dansons sous la Pluie. J'exagère un peu, mais je comprends mieux à présent le recul préventif qu'avaient eu certains fans de comédies musicales classiques en 2016. De la même manière, il a encore utilisé une lumière verte pour signifier une rupture. C'est un code qui répété n'est déjà pas très subtil, mais surtout, j'ai peur que ce soit une énième référence, cette fois à Vertigo. Au final, j'ai bien l'impression qu'il se range du côté des réalisateurs de la référence (E.Wright, Q.Tarantino) sauf qu'il se répète bien plus et s’essouffle bien plus vite. Peut-être que juste les scénarios ne me conviennent pas, c'est bien possible. J'aimerais bien que le prochain film soit d'un autre genre ou qu'il tente de nouvelles choses, histoire de voir quelque chose d'un peu différent. Si ce n'est pas le cas tant pis, je me satisferait probablement des super plans-séquences, de la lumière de fou. J'espère sincèrement que, en dehors de mon avis subjectif, Chazelle ne finisse pas par diviser son public en laissant deux parties insatisfaites. D'un côté celle qui sera lassée par son discours passéiste qui sabote sa mise en scène, l'autre nostalgique, qui ne verra en lui qu'un piètre imitateur incompréhensif des films qu'il référence de manière trop grossière pour eux.

RomainGautier1
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le 23 juin 2023

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Romain Gautier

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