À vrai dire, je n'avais même pas envie d'écrire sur ce film, qui ne m'intéresse pas outre-mesure. Mais voyant une déferlante de critiques élogieuses, j'ai quand même eu envie d'apporter un contrepoids à ce qui est décrit par beaucoup comme "le renouveau du cinéma français".


C'est vrai que le cinéma français, depuis une bonne dizaine d'années, se porte au plus bas. Pour résumer de manière simple, on a d'un côté des films à gros budget qui sont souvent des comédies médiocres (pour ne pas dire stupides) sans grand intérêt, de l'autre, des moyens et bas budget, parfois inutilement prétentieux, d'un "réalisme social" un peu plat et formellement peu inventifs. Quelquefois des perles émergent çà et là, par la force de volonté de certains réalisateurs et producteurs audacieux, mais ces émergences sont si rares qu'on finit par croire qu'elles relèvent du miracle. Au revoir là-haut fait alors figure d'OFNI au milieu de ce paysage : un budget immense pour un projet très ambitieux, et un Dupontel qui compte bien imposer son style sans se faire écraser par le mastodonte "Gaumont".


Je précise d'abord que je n'ai pas lu le livre dont est tiré le film. Le scénario étant co-écrit par l'auteur du livre, je ne doute pas que l'adaptation a du être savamment pensée.
Les 30 premières minutes du film ont pour moi été un calvaire. Tout, dans la représentation de la guerre, sent la spectacularisation hollywoodienne : musique grandiloquente, travellings aériens, explosions en CGI, mélodrames internes appuyés par des violons, édulcoration de toute violence qui aurait pu retranscrire la brutalité guerrière : on a l'impression d'avoir débarqué dans la 1ère guerre mondiale vue par Disney, en somme un divertissement bruyant sur fond de guerre.


Si la suite du film sera bien plus intéressante (ce qui n'était pas très dur), les mêmes défauts se feront sentir : Dupontel a une mise en scène excentrique mais vide. Voyez les plans pour introduire les lieux : souvent des plans-séquences de pure démonstration technique (la caméra traverse une calèche, par exemple, c'est bien jolie mais à quoi ça sert ?), là pour souligner à quel point la reconstitution historique est réussite. Sauf que cette reconstitution d'époque remarquable, où chaque costume et texture semble le fruit d'un travail minutieux, n'a pas besoin qu'on la glorifie à outrance par de la musique lourde et une mise en scène tape-à-l’œil.


Continuons d'ailleurs d'en parler, de cette mise en scène. Dupontel ne connaît aucune demi-mesure : quand il introduit les personnages, il faut que le spectateur sache immédiatement s'il s'agit d'un méchant ou d'un gentil. Dans le monde de Au revoir là-haut, qui tire son inspiration des bande-dessinées manichéennes, les choses sont découpées ainsi : Pradelle, c'est un méchant, il apparaît dans l'ombre, en gros plan avec un regard d'homme très sérieux qui fronce les sourcils, souligné par une musique dramatique. Au cas où vous n'auriez pas compris à quel point il est méchant et détestable, il trompe sa femme avec la femme de son ami et a monté son petit trafic pour s'enrichir. Ce personnage monolithique et insupportable est pourtant omniprésent à l'écran, ce qui accentue encore davantage l'écriture grossière dont il jouit.


Et c'est ainsi pour à peu près tous les personnages : aucune demi-mesure, aucune nuance, des caricatures sur pattes. Le seul qui bénéficie d'un soin particulier est Edouard (dont les masques sont absolument superbes d'inventivité : j'ai presque envie de dire qu'à eux-seuls ils valent le visionnage), qui à travers ses masques trouve un moyen d'expression qui lui est propre. C'est peut-être ce personnage qui m'a le plus intéressé dans le film, mais il est malheureusement délaissé au profit de sous-intrigues insipides (comme l'histoire d'amour entre Albert et Pauline, franchement prévisible et sans intérêt), au point qu'on se demande si Au revoir là-haut, malgré le classicisme et la prévisibilité de sa structure narrative, n'aurait pas mieux fait d'apprendre à se contenir. Toutes les thématiques intéressantes qu'il traite (la gloire des soldats avant la guerre qui se transforme en un défilé de gueules cassées, la question de l'héritage ou du masque, les débuts du capitalisme moderne etc...) sont à peine effleurées car noyées sous cette couche d'intrigues.


Je ne veux pas m'étendre davantage, je pense que vous aurez compris ma pensée : Au revoir là-haut est pour moi une coquille vide qui se complaît dans un style excentrique masquant toute profondeur et qui use de caricatures et de figures de style hollywoodiennes jusqu'à l’écœurement (il reprendra aussi le happy-end, qui paraît ici forcé et dirigé pour plaire au plus grand nombre). Je peux comprendre qu'on apprécie le film pour le plaisir des yeux, j'ai un peu plus de mal à comprendre qu'on lui trouve une force poétique ou même philosophique. Quant au renouveau du cinéma français, pour ma part, je repasserai.

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