Au pan coupé
7.4
Au pan coupé

Film de Guy Gilles (1968)

Voir le film

Le noir et blanc, tout en gris et dégradés de roses et bleus, est associé au présent, il est cerné, ombragé, morose ; La couleur s’invite parfois, appartenant aux temps de grâce, aux souvenirs.


 Il y a les prémisses d’Un amour de jeunesse dans Au pan coupé. La sensation que l’éphémère échappe au temps. Le visage du garçon convoque d’ailleurs celui du film de Mia Hansen-Løve. Son désencrage du monde et son envie de fuite avec.
La mort brise l’élan passionnel, romanesque. Elle ouvrait le film dans le récit d’une vieille dame, déjà, qui allait aussi ouvrir ce pan de souvenir. Le film est rempli de ces petites parenthèses infinie, qui surgissent ci et là, au gré des glissements. Souvent, les souvenirs s’invitent au sein d’autres souvenirs.
« Je préfèrerais le savoir mort que chaque jour l’imaginer loin de moi » dira Jeanne à cet homme qui l’écoute lui raconter ses souvenirs, qui ne sont eux-mêmes pas vraiment ancrés dans le passé puisqu’ils se sont séparés sans jamais se revoir. Le narrateur annonce même que Jeanne ne saura jamais que Jean est mort.
Il y a aussi du Carax là-dedans dans cette façon qu’ont les personnages de raconter un moment, un souvenir, le souvenir d’un souvenir. C’est écorché, saccadé autant que les plans qui les traversent, courts, comme des flashs. Jean est à Gilles ce qu’Alex sera à Carax. Dans chaque cas ce sont des morceaux d’eux, une incarnation de leur solitude.
Quelquefois, certains lieux saisis à la volée, se dédoublent. Un gris du présent fondu dans l’image vive du passé, l’errance suicidaire fondue dans la passion insouciante. On exagère volontairement la beauté du passé dans le cinéma de Guy Gilles. C’est une image intime, mouvante. Les visages y prennent souvent tout le cadre.
Macha Méril, sublime, est ce regard trouble, double, apaisant, bouleversant qui traverse tout le film. Ses yeux sont un océan de divagations et de tristesse.
Jean, lui, est ailleurs. Il est fasciné par les murs, ce qu’ils racontent, ce qui y est inscrit. Les murs sont pour lui des poèmes. Jeanne fera l’expérience de cette révolte suicidaire puis elle devra se séparer de ce passé, franchir ce mur, déchirer une vieille lettre, ranger une photo, trier des cartes postales, afin de faire ressurgir tous ces souvenirs, ces instants inoubliables et cet éternel regret de ne pas avoir offert à Jean le goût de la vie.

« Je me souviens » répète souvent Jeanne.


Se souvenir comme vivre.


Se rattacher à la vie.


 Un vieil album lui fait se souvenir. Un vieil album qui raconte la vie d’une femme, inconnue, puisque Jeanne explique que ce vieil album photo, elle l’avait trouvé dans une brocante. C’est pour elle le souvenir d’une vie qui défile racontée, improvisée par Jean. La photo d’un rire rappelle ce rire. Il rappelle sa douceur. « Je voudrais tout recommencer ».
Là c’est un immeuble en ruines, qui dévore Jeanne et le cadre. Que représente t-il d’autre qu’un engloutissement du passé ? Une dame vient avouer à la jeune femme qu’elle aurait aimé vivre là jusqu’au bout, avec tous ses souvenirs. Elle aussi a le droit à sa couleur, dans un bref souvenir de Jeanne, image figée, image malgré tout.
Jean dira de la vie qu’elle est perdue loin dans le temps. Qu’en somme, le privilège c’est la vie et non la trace qu’on en laisse. Je ne sais pas si Guy Gilles aura vécu mais il aura laissé cette trace fine, délicate, belle et terrible. C’est un film extrêmement fragile. Pas étonnant que Guy Gilles ait écrit L’été recule à la fin de sa vie. C’est au Memory Lane, de Mikael Hers que Au pan coupé me fait surtout pensé, en fin de compte.
JanosValuska
9
Écrit par

Créée

le 4 févr. 2016

Critique lue 641 fois

9 j'aime

JanosValuska

Écrit par

Critique lue 641 fois

9

D'autres avis sur Au pan coupé

Au pan coupé
Cambroa
9

Pourquoi vivre ?

Et comment vivre ? Jean ne le sait pas. Il aime Jeanne, enfin le pense-t-il, et Jeanne l'aime en retour. Il se pose beaucoup de questions. C'est un jeune, dans les années 60, mais cela pourrait être...

le 31 janv. 2021

8 j'aime

Au pan coupé
Erospleure
8

La nostalgie en couleurs

Cinéaste oublié de La Nouvelle Vague, Guy Gilles signe avec Au Pan Coupé une histoire d’amour aussi tendre que déconcertante. Le film se divise en deux parties distinctes. Le présent, en noir et...

le 29 déc. 2022

1 j'aime

Au pan coupé
al4_cine
9

Critique de Au pan coupé par al4_cine

Le film parle de Jeanne et Jean. Jeanne est une jeune femme qui raconte son histoire d'amour avec Jean. Les moments dans le présent sont en noir et blanc. Les moments dans le passé sont en...

le 3 août 2022

1 j'aime

Du même critique

Titane
JanosValuska
5

The messy demon.

Quand Grave est sorti il y a quatre ans, ça m’avait enthousiasmé. Non pas que le film soit  parfait, loin de là, mais ça faisait tellement de bien de voir un premier film aussi intense...

le 24 juil. 2021

31 j'aime

5

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

31 j'aime

4

Le Convoi de la peur
JanosValuska
10

Ensorcelés.

Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle...

le 10 déc. 2013

27 j'aime

6