Au pan coupé
7.4
Au pan coupé

Film de Guy Gilles (1968)

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Cinéaste oublié de La Nouvelle Vague, Guy Gilles signe avec Au Pan Coupé une histoire d’amour aussi tendre que déconcertante.


Le film se divise en deux parties distinctes. Le présent, en noir et blanc, où Jeanne parle de son histoire avec Jean. Le passé, en couleurs, où l’on est plongé dans le souvenir de cette relation. Les deux parties se mêleront durant l’intégralité du film allant parfois jusqu’à se superposer. La première chose qui frappe au visionnage est le jeu des acteurs. Je me suis demandé si son étrangeté était due aux comédiens ou au metteur en scène. On peut dire que c’est plutôt mal joué, notamment pour le personnage de Jean interprété par Patrick Jouané. Ce dernier délivre ses répliques avec le charisme d’un écolier qui récite une poésie devant sa maîtresse. Étrangement, cela ne m’a pas dérangé. Au contraire, le charme décousu du film, couplé à cette histoire d’amour adolescente un peu maladroite, rend ce jeu nécessaire et poétique à mes yeux.


Le montage participe également à troubler le spectateur. Dans un style épileptique et libre typique de La Nouvelle Vague, Guy Gilles s’amuse à découper son film en prenant soin de ne jamais respecter les codes. C’est rapide, désorganisé, inattendu et on ne cesse d’être décontenancé par l'enchaînement des séquences. Cela contraste avec une histoire d’amour relativement simple et classique. Ce découpage permet aussi de faire naître l'esthétique du film et d’éviter, de justesse, un lyrisme pathétique. L’alternance aléatoire entre la froideur du présent et la chaleur du souvenir est le vecteur d’émotion principal du film. On est tendrement ballotté entre des scènes moroses, froides et anguleuses où Jeanne exprime tous ses regrets à un ami, et le nuage coloré sur lequel flotte le souvenir de son amour passé.


La beauté de cette alternance atteint son paroxysme quand le film montre le même lieu, au présent puis au passé avec la même valeur de plan. On passe alors du chaud au froid, de l’amour au regret, de la vie à la mort. Comme pour signifier que les lieux qu’on traverse n’ont pas d’importance, seul compte notre humeur sur le moment. Un cœur attendri par l’amour verra toujours l’herbe plus verte et le crépuscule plus rose, à l’image de la photographie proposée par Guy Gilles pour éclairer les souvenirs heureux de Jeanne. C’est un film qui s’appuie beaucoup sur sa lumière pour développer son récit. La mélancolie de Jeanne, “le bonheur d’être triste” selon Hugo, est symbolisée par cette proximité entre le souvenir de ce bonheur extrême et la tristesse de le savoir fini. C’est cette sensation, propre à la mélancolie, que Guy Gilles capte avec génie. Il y parvient grâce à la vitalité qui se dégage d’une image aux couleurs sursaturées. Les gros plans sur les visages laissent voir le rose des joues, la rougeur des lèvres et le bleu des yeux. Toutes les teintes illustrent ces corps amoureux qui débordent d’une passion qui se lit sur leur chair. Puis, soudainement, c’est le noir et blanc, nous sommes au présent, tout est plus calme et l’agitation désordonnée de l’amour a laissé place à un mouvement des êtres plus mécaniques.

Guy Gilles réussit une œuvre à la douceur charmante et dont le déséquilibre donne du sens à son histoire d’amour contrarié.

Erospleure
8
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le 29 déc. 2022

Critique lue 23 fois

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