As Bestas de Rodrigo Sorogoyen raconte la confrontation d’un couple de Français avec les habitants d’un hameau en Galicie. Le réalisateur de Que Dios nos perdone et El Reino, aussi à l’aise en pleine nature qu’il l’était dans la ville, propose une fable, filmée à la façon d’un western, où la vérité des personnages sera sans cesse battue en brèche. Un film, tout en tension, qui confirme l’immense talent du réalisateur espagnol.

Chevaux sauvages et taureau impulsif

As Bestas s’ouvre sur une séquence magnifique : deux hommes entravent à mains nues un cheval sauvage. Une tradition, le Rapas das bestas, qui consiste à soumettre l’animal pour le marquer. On comprendra plus tard le sens de cette scène. En attendant, on fait la connaissance de Xan et Lorenzo, deux quinquas qui vivent avec leur mère dans la ferme familiale. Les deux frangins, qui font la pluie et le beau temps sur le village ont pris en grippe Antoine, le « Français », un colosse au regard inquiet venu retaper des maisons et cultiver un potager avec sa femme. Car l’ex-professeur a eu la mauvaise idée de voter contre l’implantation d’éoliennes, faisant ainsi capoter le projet et la manne financière qui l’accompagnait. Devenu le mouton noir du hameau, Antoine supporte mal le harcèlement dont il est bientôt la cible. Et lorsque l’adversité se durcit, il fonce tête baissée comme un taureau sur un chiffon rouge. Ainsi, le scénario emprunte-t-il à la dramaturgie ibérique, celle de la corrida et de la mise à mort.


Le poids des mots, le sens des paroles

Antoine à l’inverse de sa compagne ne maitrise pas le patois local. Un handicap pour trouver sa place dans la communauté très masculine du village. Dans le bar – on pourrait même dire le saloon – Xan, l’ainé, fait la loi et inspire la crainte. Mieux vaut ne pas être dans son collimateur, ni le contredire ! Car, même si les deux frères font figure de ploucs, avec leurs gueules de péquenots et la bouteille jamais loin, le fait est qu’avec eux, un mot est un mot. L’insulte – « culs-terreux » – lancée par Antoine pèse plus lourdement qu’il ne pensait. Ainsi, les paroles pour les uns ou pour les autres ne semblent pas avoir le même sens. Le titre du film, As Bestas semble jouer de cette même ambiguïté. Est-ce une référence à la bestialité apparente des deux frères ? Ou bien faut-il y entendre l’acception au sens d’imbéciles ou d’abrutis ? Autrement dit, ces deux paysans sont-ils si bêtes qu’ils semblent ? Et Antoine lui-même n’est-il pas aussi stupide que ses voisins ?


Les désaxés

Plus qu’un film sur la xénophobie, As Bestas raconte une confrontation sociale. L’opposition d’individus certes culturellement différents, mais surtout opposés dans leurs aspirations et leurs idéaux. En termes de mise en scène, Antoine est souvent filmé au plus près de ses tomates, ce qui traduit son rêve terrien. A l’inverse, les deux frères, qui habitent la maison en contre-bas, subissent une forme de complexe vis-à-vis de ces envahisseurs riches et instruits. Xan, l’ainé, nourrit une obsession pour ces éoliennes, promesses d’une richesse inespérée. Quant à Lorenzo, le cadet, il est mentalement limité depuis un accident de cheval. Contrairement à Antoine et sa femme, la terre symbolise pour eux l’asservissement. Xan et Loren sont en quelque sorte des misfits, les inadaptés d’une Europe qui les a oubliés. Une problématique qui jaillit dans une superbe joute langagière, filmée en plan séquence, opposant Antoine et son voisin. Un véritable duel façon western où les mots fusent comme des balles. Une scène qui aura aussi son équivalent, en miroir, dans une deuxième partie, plus féminine et toute aussi intéressante.

Un film parfaitement maitrisé.


8.5/10

Critique parue initialement sur le MagduCiné

Theloma
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le 4 sept. 2022

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