Comme tout un chacun, il m'arrive de dire d'énormes conneries, avec un aplomb insolent et de m'y conformer de façon péremptoire. Un exemple ? "Je n'aime pas les comédies musicales !" Alors je vais devoir nuancer ce propos et dire ce qui est plus correct, je n'aime pas toutes les comédies musicales et plus précisément, je n'aime pas l'exercice de la comédie musicale quand cette approche me parait n'être qu'un artifice qui n'apporte rien à l'histoire. Je suis de ce fait très hermétique, pour ne pas dire rétif au cinéma de Jacques Demy, qui cumule tout ce qui peut m'agacer et dont les mièvres musiques empestent une naphtaline de placard de grand-mère.


Quand j'étais allé voir Annette au cinéma, entre deux confinements, je m'y rendais principalement parce que Leos CARAX est un cinéaste qui me passionne, mais à l'idée d'une comédie musicale, j'étais un poil inquiet, l'argument qui à l'époque a déterminé mon choix de tenter cette expérience ce sont les Sparks, dont je connais et apprécie la musique depuis très longtemps. J'allais prendre l'une des plus grandes claques de l'année cinéma, et peut-être de toute mes années de cinéphile/cinévore. Hélas des contraintes professionnelles et un emploi du temps extrêmement serré ces derniers mois allait m'empêcher de partager avec vous les émotions qui furent les miennes à la sortie de cette séance, l'achat cette semaine du DVD et son re visionnage m'incitent cette fois à le faire.


Il ne faut pas plus d'un plan, d'une idée au film pour m'accrocher, et de là voir toute la maestria de Carax, dont l'accumulation d'idées ne viennent jamais étouffer un scénario sous un trop plein de petits effets putassiers mais confirment plutôt l'envie de cinéma du cinéaste.

Chaque mouvement de caméra, chaque inflexion de mise en scène, chaque plan, chaque cadrage, chaque choix de lumière, de focale, chaque hors champ sont signifiants et si dès le plan séquence admirablement réalisé qui arrive dès la deuxième scène on comprend que nous sommes partis pour un grand spectacle minutieux, précis et pertinent.


On suit deux êtres, deux artistes, dont les carrières et succès viendront parasiter leur relation amoureuse, de façon insidieuse, jusqu'à l'auto destruction. Henry Mc Henry, un comédien de stand-up aussi cynique que profondément malheureux, attiré presque malgré lui par un abyme sans fonds et ses ténèbres, un homme qu'on voit peu à peu se muer en parangon de la masculinité toxique, l'ambiance est encore au beau fixe, la lune de miel n'est pas finie que déjà la mise en scène nous alerte, maintes fois citée dans les différentes critiques le plan de ses mains qui avancent vers le cou de sa bien-aimée, pour finir dans un geste de tendresse, déjà ce plan qui évoque Murnau, mais aussi par son lyrisme et l'aspect gothique qui en ressort le Dracula (1992) de Francis Ford COPPOLA plonge le spectateur dans un effroi palpable, tant on pouvait y voir en filigrane l'évolution qu'allait prendre Mc Henry. J'ai également vu dans la scène des coulisses de son spectacle qui m'a évoqué celle dans Raging Bull (1980) où Jack LaMotta se prépare à monter sur scène pour son spectacle en s'invectivant devant le miroir comme avant un combat une autre illustration de cette destinée que l'on devine poindre.


Adam DRIVER est une fois de plus brillant, et parvient à jouer de son physique atypique, physique qui frise avec l'étrangeté dont se délectera tout au long du film la réalisation.


Comme alter ego puis comme antagoniste nous trouvons Ann Defranoux, chanteuse lyrique à la fois solaire mais aux éclipses toujours plus noires et profondes, comme si elle était habitée d'une dualité qui confinerait à une espèce de bipolarité de plus en plus envahissante, et qui viendra tout comme la toxicité d'Henry, détruire, saper, éroder leur relation amoureuse. Un personnage retors, versatile, aux nuances parfois claires, parfois diffuses, qui confirment, n'en déplaise aux rageux qui ne goûtent pas son succès et ont vite tendance à la cantonner à la scène ratée de sa mort dans Batman, l'immense talent de Marion COTILLARD


Relation dont le fruit et cette fameuse Annette qui marionnette symbolisant selon moi, les enfants dont les parents se servent pour régler leurs propres conflits, d'ailleurs il y a eu plusieurs fois dans le film des situations, des verbes, des critiques précises ou sous jacentes dans lesquelles j'ai reconnu des situations que j'ai pu vivre ou que je vis encore, sans doute cela a t'il contribué pour une part à mon enchantement général concernant ce film.


Car oui, je trouve ce film brillant à tous les niveaux, les jeux des acteurs, le scénario, la musique sensationnelle, et cette mise en scène dantesque, inventive, riche, éblouissante qui jamais ne se repose, qui propose sans cesse quelque chose, sans jamais tomber dans le trop, qui se permet à quelques instants de casser le quatrième mur subtilement, juste pour nous darder et susciter en nous la compréhension que ce que l'on voit se tramer inexorablement ce n'est pas juste du cinéma, mais une part de réalité.


La conclusion du film achevant de m'émouvoir à un point tel que pour la deuxième fois, je termine en larmes. Heureux et reconnaissant envers Monsieur Carax pour son cinéma, qui m'émerveille à chaque fois, profondément touché par le gâchis savamment construit par les deux protagonistes, oui oui les deux sont à mon sens responsables, et même si je m'enorgueilli d'être conscient des problèmes de sociétés que traite le film, il me fait réaliser que parfois la simple conscience du problème ne suffit plus.


Si comme moi, vous pensez que la comédie musicale est un genre que vous n'aimez pas, donnez une chance à ce véritable chef d'oeuvre, je vous garantie un moment de cinéma d'une rare intensité, d'une beauté plastique absolue et dont la forme ne fait que transcender un fond riche et virtuose. Virtuose, voici l'adjectif qui sied le mieux à ce film.


Spectateur-Lambda
10

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le 4 août 2022

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