Je considère Holy Motors et Mauvais sang comme deux des meilleurs films de l’histoire du cinéma français, et Leos Carax comme l’un des plus grands réalisateurs français, reconnaissance d’autant plus facile qu’il est extrêmement constant dans la qualité sans cesse étonnante de ses propositions.


Aussi ai-je été surpris de ne pas retrouver en Annette ce que j’avais déjà tant aimé dans son cinéma. Est-ce à cause de la dimension états-unienne du film qu’il m’a paru moins maîtrisé de bout en bout que ses précédentes créations, s’autorisant… des plans voire quelques séquences peu mémorables, un comble quand on a tant admiré l’exigence accordée par Carax à la moindre image. Il faut dire qu’il plaçait la barre assez haut dès le tout début…


Par ailleurs, le scénario revendique parfois la simplicité d’une fable, ce qui excuse ses facilités volontaires et le rallongement artificiel du métrage par des chansons très répétitives, mais pour s’attarder parfois sur des péripéties détaillées de « vraie » fiction, dans un entre-deux qui peut s’avérer frustrant quand on perd l’enchantement de la fable ou que l’on décroche de l’intrigue aux personnages sous-caractérisés - alors même que le dernier acte semble exiger, me semble-t-il, un peu d'empathie pour être pleinement apprécié. Comme si Carax avait voulu faire une relecture post-moderne personnelle des Parapluies de Cherbourg par exemple, mêlant tant les niveaux de lecture que le résultat peut davantage ressembler à Parking (que j'aime bien au demeurant !).


Attention, il n’est pas question d’en faire reproche au film, seulement d’expliquer pourquoi à titre personnel j’en ai été moins hypnotisé – peut-être précisément parce que j’espérais être à nouveau hypnotisé alors que Carax cherchait autre chose. Cela méritera donc revisionnage.


Et tout de même que les fans du réalisateur ne s’inquiètent pas, on retrouve régulièrement sa patte et ses surprises dans quantité d’éléments et de scènes, dans une richesse inédite (même pour lui !) de manières de mettre en scène la mise en scène (du stand-up au photophore, du clip à l'opéra, du Super Bowl aux marionnettes...), pour une interrogation assez évidente de l'authenticité et de la légitimité du fallace - voire de sa nécessité artistique -, le thème principal de l'oeuvre m'a-t-il semblé, avec celui de la place de la femme, de sa mise à mort symbolique et réelle par le besoin masculin d'exister sans partage.


Enfin, aussi fatigante que puisse parfois être la vanité dramatique des successions d’airs répétitifs, beaucoup restent longuement en tête en plus d’impressionner sur le moment, admirables dans leur volonté d’imiter parfois Broadway (on reconnaît parfois assez clairement Le Fantôme de l'Opéra ou Les Misérables), d’emprunter quelques touches à Legrand, d’arborer soudain une volonté opératique, de mêler le pop et le second degré, toujours au risque que cette brillante générosité souligne des ridicules – So may we start, Stepping Back in Time, Sympathy for the Abyss et bien sûr le très Demy We love each other so much ont ainsi vite rejoint ma playlist, et je cherche The Conductor, le très chouette second solo de la bonne surprise Simon Helberg (mais Driver est particulièrement épatant, même en faisant fi des scènes de one man show).


6,75/10

XipeTotec
7
Écrit par

Créée

le 18 juil. 2021

Critique lue 146 fois

XipeTotec

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