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La caméra, cérémonieuse, empreinte de gravité, presque de déférence, s’ouvre grandiosement (en effectuant une lente rotation) sur un paysage surréel : l’espace intersidéral et, au sein de cette immensité, un astre géant qui trahit la fascination humaine pour le démesuré, pour ce qui nous apparaît colossal : Ridley Scott, pour la seconde fois seulement à la barre de la réalisation, s’impose brillamment face au spectateur, conjugue sensationnel et simplicité (il n’y a absolument rien dans le plan si ce n’est une imposante forme géométrique) et traduit ingénieusement la croyance de l’humanité en une vie extraplanétaire dans cette pierre angulaire de la science-fiction et de l’horreur qu’est Alien : le huitième passager. C’est dans ces ouvertures où la perfection est atteinte qu’on voit le génie d’un film; or, ici, alors que le récit vient à peine de débuter, il nous est évident que ce à quoi nous assistons est le commencement d’un chef-d’œuvre (impression qui se confirmera par la suite). Suite à cela arrive une seconde séquence brillantissime; l’éveil des passagers dans le silence le plus complet et où tous sont vêtus et éclairés d’un blanc immaculé devient aussi l’éveil du film, la naissance du récit, le début de l’épopée. Nous sommes le huitième passager, réveillés en même temps que les protagonistes et sur le point d’être terrassés par une histoire des plus anxiogènes.


Les oscillations de la lumière, flashs répétés provenant de milliers de sources différentes, éclairage épileptique multicolore (voir les 15 dernières minutes) ou simple projecteur vacillant frénétiquement de gauche à droite; le montage sonore brillant, dans un éternel jeu de contraste, entre le bruit assourdissant de la machinerie et le silence tendu des moments d’accalmie où tout le monde retient son souffle; ainsi que la disproportion des images, toujours d’une ampleur incroyable, confinant les personnages dans leur minable humanité : tout converge en un ensemble d’une cohérence redoutable, tentative constante chez le réalisateur d’abasourdir celui qui observe attentivement.


À plus petite échelle, Ridley Scott, en plus d’instaurer à bord de l’embarcation un microcosme témoignant des inégalités toujours présentes dans la société (même dans le futur), aborde la question de la vie humaine, qui plus est de sa valeur, confrontant les motivations froides de la mission (gérée au final par l’ordinateur mère ainsi que l’androïde) à la volonté de survivre dont sont dotés les héros, luttant chaque seconde pour s’en sortir, faisant preuve d’un individualisme de dernier recours. Au final, dans la détresse se révèle l’esprit tenace, la réelle meneuse de la mission, celle qui se battra coûte que coûte pour sauvegarder l’équipage et annihiler la créature : Ripley, vulnérable parce qu’humaine, mais dotée d’un extrême courage. S’ensuit un combat féroce et invisible (aucun des deux ne connaît l’emplacement de son ennemi) entre Ripley et l’alien qui trouvera son apogée dans une finale en course-poursuite au sein du vaisseau.


Les mystérieux paysages aperçus lors de l’unique expédition hors du vaisseau, les vestiges envoûtants d’une civilisation extraterrestre plus ou moins éteinte et l’utilisation psychédélique du son et de la musique donnent naissance à un ovni cinématographique, sorte de transe filmique qui ankylose le spectateur. Alien : le 8ème passager prend également la forme de leçon de suspense lorsque Scott décide de se jouer du spectateur, lui révélant certaines zones d’ombres afin de lui faire adopter un rôle omniscient, puis omettant des détails capitaux dans le simple but d’en faire frémir celui même qui se croyait quelques instants auparavant dans le secret des dieux.


Toujours tapie dans l’ombre, la bête sanguinaire au physique terrifiant semble s’amuser de la partie de cache-cache avec l’équipage, car elle possède toujours l’avantage étant donné qu’elle est invincible (comme Kane l’affirme dans une scène glaçante). Créature parfaite, sans faiblesse aucune, elle prophétise l’extermination des passagers par sa seule présence, promet par son existence la mort de chacun. L’intérêt survient alors dans l’inéluctabilité de la condition des héros, voués à mourir un par un et qui retrouveront par là un second souffle : puisque tout est perdu, autant se perdre en essayant. L’énergie du désespoir, voilà ce que Scott capte si bien avec la caméra, la sueur de la détresse, les pleurs de l’accablement.


Quelques minutes après l’éjection de l’alien (qui marque la fin de l’affrontement), le film se clôt sur un plan de Ripley regagnant sa cellule et retrouvant le sommeil artificiel duquel elle s’était réveillée au moment où débutait le film : la boucle est bouclée, retour à la case départ, moins six passagers et un intrus. Absolument brillant, Alien : le huitième passager ne cesse de subjuguer, tant par sa maîtrise hallucinante de l’éclairage que par le sound design incroyable et la splendide architecture (de l’intérieur comme de l’extérieur) du Nostromo. L’immersion est totale, la réussite aussi : on ne s’en remet guère!

mile-Frve
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le 1 juin 2021

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Émile Frève

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