En 2012, le réalisateur Ridley Scott revenait au genre qui l'aura consacré en livrant Prometheus, petit chef d'oeuvre du genre, injustement incompris lors de sa sortie. Vendu comme une préquelle annoncée d'Alien, le film déçu notamment pour son refus de raccrocher les wagons avec le premier chef d'oeuvre de Scott, ce dernier ayant alors l'ambition de proposer une oeuvre SF plus "clarkienne" dont l'intrigue, ancrée dans l'univers du xenomorphe, s'intéresserait moins à ce dernier qu'aux origines de l'humanité, au personnage d'un androïde doté d'ego ainsi qu'à la race mystérieuse dont appartenait le fameux space jockey du premier film. Bourré de bonnes idées (mais aussi d'incohérences), traversé par un souffle visionnaire inattendu de la part de Scott, Prometheus déçu néanmoins son public et déclencha l'ire d'une grande partie des fans, notamment par ses quelques ellipses et autre maladresses narratives dues à des coupes de montage témoignant d'une écriture et d'une production particulièrement chaotique (éviction du premier scénariste Jon Spaihts, arrivée de Damon Lindelof qui remania l'histoire de manière à ce qu'elle s'éloigne de la mythologie Alien, indécision de Scott quant à la direction thématique à suivre...). Récompensé par un semi-échec au box-office mais salué par certains critiques, Prometheus appelait alors une suite logique, longtemps contredite par ses faibles recettes et certainement, la recherche d'un script adéquat qui répondrait cette fois-ci à l'attente des fans. Ce furent John Logan (Gladiator, Skyfall), Michael Green (Logan, Blade Runner 2049) et Jack Paglen (Transcendance) qui furent choisis pour écrire cette nouvelle intrigue qui, tout en faisant suite à Prometheus, en prend aussi quelque peu ses distances en passant sous silence les dix années de quête de Shaw et de David pour préférer la trajectoire de tous nouveaux personnages.


SPOILERS


Le film s'ouvre sur la rencontre et le dialogue d'un créateur et de sa créature, le vieillissant Peter Weyland (Guy Pearce) découvrant alors son premier prototype d'être synthétique dans la blancheur immaculée d'une vaste salle. Leur échange s'appuie sur une dialectique troublante, l'androïde en pleine prise de conscience s'interrogeant dès lors sur sa nature et questionnant son créateur sur les raisons de sa création et sur la place qu'il lui accorde sur l'échelle des êtres. Libre de ses choix, la créature finit par choisir son prénom en contemplant la statue du David de Michel-ange trônant au milieu de la salle, démontrant alors une certaine sensibilité à l'art et au concept de création. Plus qu'un simple dialogue la conversation semble ensuite se muer en un subtil rapport de force lorsque le robot renvoie son créateur à sa condition mortelle. "Vous cherchez votre créateur, lui dit-il, moi je l'ai sous les yeux. Je vous servirai mais vous êtes humain. Vous mourrez, moi pas." Il confronte de la sorte son père à l'inéluctable : condamné par le temps, l'homme ne peut prétendre à l'immortalité que par la grandeur de ce qu'il créé. Le génie de Michel-ange n'étant une vérité que par ce qu'en témoigne son David. Il en sera de même pour Weyland. Un rien agacé par cette perspective, ce dernier demande alors à David de lui apporter le thé, limitant ainsi les possibilités cognitives et l'arrogance de sa créature à son rôle prédestiné de serviteur.


Toutes les préoccupations thématiques de Scott pour cet opus (et Prometheus) se trouvent condensés dans cette scène qui a bien des égards, renvoie à une séquence charnière de son Blade Runner (l'interrogatoire de Léon). Il s'agira alors pour le cinéaste d'enfoncer le clou, l'androïde David reste bel et bien le personnage principal de son diptyque, reléguant les autres personnages de Alien Covenant à de simples archétypes aux passifs sacrifiés, tous bons à mourir les uns après les autres par la suite (à l'exception de personnages à la psychologie plus fouillée comme Daniels ou Oram). Ce sera là une des plus grandes faiblesses du film, sa caractérisation sacrifiée, très loin de celles des films précédents. Ainsi, on aura beaucoup de mal à s'attacher à ce groupe de pionniers de l'espace, partis à la recherche d'un monde colonisable. Et si le réalisateur consacre une bonne demi-heure d'exposition à la présentation de l'équipage du Covenant, c'est moins pour nous révéler les quelques frictions qui règnent entre les personnages (décès du capitaine et conflit larvé entre sa veuve et son successeur), que pour nous présenter un tout nouvel androïde, le dénommé Walter, parfait jumeau du David porté disparu. Plus pragmatique et attentionné que ne l'était le très susceptible androïde dans Prometheus, Walter semble être dans ses paroles et son attitude, une parfaite correction des penchants humains de David. S'il reste particulièrement sociable, Walter n'a pour autant rien de compatissant (ni de cruel) et pose ici un regard plus froid sur les humains qu'il accompagne. Il se rapproche ainsi un peu plus de la définition du robot (dictée par Asimov et repris dans le Aliens de Cameron), à l'inverse de David qui lui, s'en éloigne radicalement. La rencontre des deux personnages en milieu de métrage, au détour d'une scène troublante d'ambiguïté où l'un apprend à l'autre à jouer de la flûte, permet ainsi à Scott de donner plus de résonance à la singularité et à l'égocentrisme de David, ce dernier tentant subtilement de convaincre (et de séduire) son double de l'arrogance et de la fragilité de leurs maîtres.


Il est alors intéressant de constater que David reste un personnage irrémédiablement condamné à la solitude, auquel Scott oppose plusieurs couples de protagonistes humains (l'équipage de colons du Covenant n'étant constitué que de couples), traitement auquel échappe pourtant l'héroïne Daniels, celle-ci voyant mourir son compagnon dans son sas d'hibernation dès les premières minutes de métrage. Dès lors Daniels semblera se rapprocher affectivement de l'autre personnage solitaire du Covenant, l'androïde Walter, qui, bien que dénué de compassion, gardera une oreille attentive à la détresse émotionnelle de la jeune femme. Ce rapprochement n'échappera d'ailleurs pas à David qui, au détour d'un hommage funèbre (et accompagné de Walter), renverra plus tard son alter-ego nouvelle génération à ses sentiments naissants pour la jeune femme. A ce moment-là le personnage de David adopte les contours d'une authentique figure tragique, pleurant selon ses dires, la seule personne qui lui ai jamais témoigné de respect et d'affection. Seul survivant de son odyssée spatiale, l'androïde hante seul les vestiges d'une immense nécropole extra-terrestre aux allures de Pompéi où se découpent les ombres de créatures prostrées dans des postures agonisantes. L'apparente mélancolie de David et sa touchante complainte (la citation du poème Ozymandias de Percy Bysshe Shelley s'accorde à merveille avec l'état d'esprit ambivalent de l'androïde) donnent alors à croire à la bonification du personnage depuis ses dérives dans Prometheus.


Il n'en sera pourtant rien, l'attitude de David n'étant finalement qu'une duperie pour tromper la vigilance de ses visiteurs. On découvre alors bribe par bribe la montée en puissance du caractère menaçant de l'androïde, Scott nous révélant à travers une scène dantesque, le génocide dont il s'est rendu responsable en déversant les soutes du Juggernaut (le vaisseau alien du précédent film), remplies de milliers d'urnes d'huile noire, sur la mégapole des ingénieurs, contaminant de la sorte tout l'éco-système de leur planète. Un cataclysme quasi-biblique qui, paradoxalement, devient acte de création, David (qui poussait déjà sa curiosité malsaine dans Prometheus jusqu'à contaminer sciemment Holloway) se rendant ainsi responsable de la mutation génétique de toute la faune et la flore de la mystérieuse planète. Conscient de l'ampleur de ses actes, David prend alors les atours d'un ange déchu, sorte de fils préféré (celui de Weyland) à l'ego dévastateur, qui méprise ses créateurs et règne sur un royaume infernal d'où s'apprêtent à émerger des légions de créatures cauchemardesques. Walter le soulignera plus tard au détour d'une ultime réplique lancée à son frère : Que préfères-tu ? Servir au paradis ou régner en enfer ? Une question à la réponse évidente qui met à l'index la singularité égocentrique de David. Totalement consacré à son oeuvre, ce dernier aura entretemps révélé à un malheureux protagoniste, ses nombreuses expérimentations sur l'huile noire et sur ce qui se révélera être le corps de Shaw, que l'on devine finalement sacrifiée sur l'autel des délires créationnistes de l'androïde pour donner ce qui sera les tous premiers facehuggers. L'idée étant probablement de faire de Shaw, auparavant présentée comme stérile (et déjà infectée par le liquide noir), la toute première mère des monstres. Ne manquait alors plus à David que de nouvelles victimes humaines pour donner naissance au fameux xenomorphe.


L'apparition de celui-ci, largement annoncée par les très violentes attaques de son cousin neomorphe (une créature à la couleur laiteuse tout aussi agressive que son modèle) sur les colons, précipite alors l'intrigue dans un dernier acte un rien décevant car prévisible de bout en bout et totalement dédiée à des scènes d'action redondantes témoignant de la volonté de Scott d'en mettre plein les mirettes via des effets de style tapageurs et peu inspirés (voir le décevant pugilat entre Walter et David). Autrefois présenté comme un monstre se fondant dans le décor, le xenomorphe ne s'encombre ici plus du tout de la moindre envie de se cacher mais attaque de front à maintes reprises, s'exposant sans retenue à la vue des protagonistes et du spectateur. Il est bien loin le temps où Dallas traquait le monstre à la faible lueur d'un lance-flammes dans les conduits enténébrées du Nostromo. Au vu du traitement passionnant réservé à David et à toute la partie se déroulant dans la nécropole, il est un peu dommage que le dernier acte du film se vautre ainsi dans un déchaînement d'action convenu, à peine relevé par un esthétisme appliqué, surtout pensé pour la 3D (le combat en apesanteur dans la soute du Covenant).


Ces quelques scories témoignent des choix inassumés d'un réalisateur hésitant entre une vision inédite et une réponse résignée aux détracteurs de Prometheus. Certainement conscient des défauts du script, Scott va tout miser sur la dimension hautement horrifique de son film en détournant quasi-systématiquement la mythologie qu'il a établie 40 ans plus tôt. Alien Covenant devient alors une nouvelle relecture (Prometheus en était déjà une) de son chef d'oeuvre originel. Il faut voir comme le réalisateur se joue des attentes des premiers fans à travers plusieurs séquences "choc" dont le fameux chestburster qui ici ne sort plus seulement en défonçant le thorax de son porteur mais en s'extirpant de son dos ou en remontant dans la gorge. Des séquences particulièrement gores, largement annoncées par la contamination des personnages, et que Scott prépare par une mise sous tension montant crescendo jusqu'à l'horreur. Le film privilégie ainsi une horreur viscérale et franchement traumatisante, ses nombreux déchaînements de violence graphique le plaçant aisément comme l'opus le plus brutal et dérangeant de la franchise.


Au final, Alien Covenant déçoit autant qu'il fascine et offre de quoi nourrir l'imaginaire des amateurs de SF horrifique. Comme Prometheus en son temps, cette suite regorge d'éléments nouveaux et fascinants (la nécropole extra-terrestre, l'exploration de la planète forestière qui contraste avec les rocheuses LV-426 et LV-223, la relation-miroir de Walter et David...) plus ou moins bien exploités. Elle pâtit aussi de scories narratives et de choix étonnants, parfois peu judicieux de la part de son réalisateur. Un des moindres étant d'avoir passé entièrement sous silence le voyage dans l'espace de Shaw et de David ainsi que l'évolution (et la dégradation) de leurs rapports, des événements a priori passionnants, à peine entraperçus dans le court-métrage promotionnel "La traversée". En l'absence frustrante de Shaw, l'intrigue de Covenant se refuse ainsi à raccrocher complètement les wagons avec Prometheus en passant à la trappe tout le questionnement de l'héroïne défunte et les motivations des ingénieurs à vouloir détruire l'espèce humaine. Selon ses dires, le réalisateur aurait eu l'ambition (peut-être contrariée par les faibles recettes du film) de raconter l'errance spatiale de la jeune paléontologue et de David dans un 3ème opus de sa "prélogie" qui aborderait toutes les zones d'ombre du script de Covenant et achèverait de situer ses personnages dans une saga autonome. Une préquelle alléchante qu'on peut toutefois moins appeler de nos voeux qu'une suite directe faisant enfin la jonction entre les origines du monstre et l'odyssée de Ripley.

Créée

le 24 janv. 2018

Critique lue 451 fois

13 j'aime

8 commentaires

Buddy_Noone

Écrit par

Critique lue 451 fois

13
8

D'autres avis sur Alien: Covenant

Alien: Covenant
Sergent_Pepper
5

Asperge le mytho

Le dédale nous égare : Ridley Scott, en retournant à ses premiers amours, ne nous en facilite pas nécessairement l’accès : retour du monstre, suite de son prequel, quête des origines, récit fondateur...

le 12 mai 2017

116 j'aime

27

Alien: Covenant
MatthieuS
5

Un projet qui aurait mieux fait d’être tué dans l’œuf

Alien Covenant est donc la continuité de Prometheus, film réalisé et produit par Ridley Scott en 2012. Cette suite, du nom d’Alien Covenant, est le dessin d’un projet. Ce projet est de rendre cette...

le 11 mai 2017

88 j'aime

34

Alien: Covenant
Behind_the_Mask
7

Mother fucker ?

Dis-moi, cher abonné, te souviens-tu ce que tu faisais en 2012, plus précisément le 30 mai ? Ah ah, j'étais sûr que tu allais dire ça. Allez, je te donne un indice pour te remettre en situation. Tu...

le 11 mai 2017

83 j'aime

22

Du même critique

Les Fils de l'homme
Buddy_Noone
9

La balade de Théo

Novembre 2027. L'humanité agonise, aucune naissance n'a eu lieu depuis 18 ans. Pas l'ombre d'un seul enfant dans le monde. Tandis que le cadet de l'humanité vient d'être assassiné et que le monde...

le 18 juil. 2014

92 j'aime

6

Jurassic World
Buddy_Noone
4

Ingen-Yutani

En 1993, sortait avec le succès que l'on sait le premier opus de la franchise Jurassic Park. En combinant les différentes techniques de SFX et en poussant à leur paroxysme des images de synthèse...

le 16 juin 2015

84 j'aime

32