Fabrice Luchini joue toujours plusieurs rôles : ceux qu’on écrit pour lui dans les films, et celui qu’il se forge dans la personnalité qu’il trimbale sur les plateaux à l’occasion de sa promo. Un rôle volubile, jubilatoire, lucide aussi, celui-ci reconnaissant volontiers qu’être sous antidépresseurs en permanence n’est pas non plus une partie continue de plaisir.


Une certaine confusion peut en découler, et on sentait parmi l’audience d’Alice et le Maire une certaine attente, des rires d’espoirs quant à la nouvelle prestation qui allait être la sienne, et qui seraient vite frustrées.
Le nouveau film de Nicolas Pariser, après le surestimé Grand Jeu, s’inscrit en effet dans une logique clairement annoncée : en convoquant une « philosophe » qui n’en est pas une, mais une normalienne brillante, le maire éponyme cherche des idées pour revivifier une fonction qui patine. La logique est donc avant tout discursive, et les échanges seront, de façon assumée, dissertatifs.
La première note que rédige Alice sera sur la modestie : là aussi, les intentions sont explicites, et définissent le projet du cinéaste qui, sur un terrain fertile à bien des poncifs, va jouer une mélodie mezzo piano. Les développements attendus (une romance possible, des remises en question drastiques, des accidents de parcours, la satire au vitriol du monde politique) seront toujours filtrés par ces deux personnages qui s’interrogent avec honnêteté sur leur mission, leur rôle et leur utilité.


La peinture du milieu suit donc cette approche : certes, les caractères défilent (le chargé de com laconique, la directrice de cabinet overbookée, l’écolo collapsologue…) mais lorsque le cinéaste leur donne la parole, l’écoute l’emporte sur le sarcasme. Tous ont à partager un désarroi sur la confrontation de leurs idées avec le réel, et questionnent la validité d’une idéologie quand elle s’émousse au contact de sa réalisation. Même Alice, l’intellectuelle prodigue en concepts et en références souvent stimulantes, n’a pas d’idées sur ce qui l'attend par la suite. Si certains échangent plombent un peu le rythme (notamment cette balade au bord du Rhône qui disserte sur la fin de la gauche, ou ces confidences sur l’oreiller remettant en cause la possible compromission d’Alice par le poste qu’elle occupe), la vision générale est toujours tamisée par un désenchantement poli, au diapason des performances parfaites des comédiens, et notamment du duo Luchini/ Demoustier (qui, en y réfléchissant avec toute la subjectivité nécessaire, est à la France ce qu’Elle Fanning est au cosmos).


La fourmilière de la mairie, portée par une mise en scène discrète et fluide, n’a jamais les allures folles qu’on pouvait trouver dans le jumeau comique qu’est le très réussi Quai d’Orsay de Tavernier. Si les urgences s’enchainent, elles ne sont que des vanités par rapport à l’enjeu qui n’est jamais perdu de vue, et qui entreprend une quête de mordant dans cette valse un peu futile, ce théâtre des vanités que Pariser parvient bien à synthétiser lors cette soirée, justement située à l’opéra.


A son arrivée à la mairie, on demandait à Alice de prendre du recul sur une situation qu’elle ne connaissait même pas : une absurdité amusante sur les conceptualisations d’un milieu qui tourne à vide, à l’image de ce projet Lyon 2500, qui brasse du vent pour jeter des ponts entre passé, présent et futur. Tout le récit semble contaminé par ce discret désespoir, qui refuse la catastrophe frontale pour conduire des destinées vers un nouvel état, sans tragédie, sans illusion, mais qui peut colorer les idées de cette richesse modeste qu’est l’expérience.

Sergent_Pepper
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le 7 oct. 2019

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Sergent_Pepper

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