L’ouverture d’À l’intérieur, sur un braquage qui tourne court, est une fausse piste assez intelligente : alors que le spectateur peut s’attendre à un thriller et un jeu de chat et la souris à contrainte pour le cambrioleur, le récit bifurque rapidement pour se concentrer sur un huis-clos radical.


Évacuons d’emblée les chevilles scénaristiques assez grossières, mais jugées nécessaires pour varier les épreuves du prisonnier : panne d’eau, climatisation capricieuse et absence de tout contact avec l’extérieur – y compris du propriétaire ou de son agence de sécurité qui semblent ne pas avoir été avertis de l’alarme déclenchée et du blocus subséquent. Vasilis Katsoupis, dont c’est le premier long métrage de fiction, n’a que faire de ces éléments, et les délaisse rapidement au profit d’un autre récit.


Sur le modèle de l’audacieux All is lost de J.C. Chandor, il s’agit ici de filmer un homme seul et en danger. Mais à l’inverse des survivals habituels, la nature isolée fait place à un appartement luxueux, saturé de toute la vanité des ultra-riches au premier rang desquels on comptera une impressionnante collection d’art contemporain. La survie de notre Robinson se fait donc face à un frigo intelligent, des restes de blinis et de caviar, au sein d’une prison dorée dominant la skyline. La gestion des espaces (hauteur démesurée, mezzanine, bassin, aquarium et lieux cachés) fascine autant plastiquement qu’elle conduit un récit sous tension, dans lequel les fonctions vitales sont mises à mal. On pense par instant à Parasite dans cette mise en valeur d’un luxe presque tranchant, en tout cas douloureux pour celui qui l’occupe clandestinement.

L’organisation consistant à bricoler et détourner les objets environnants pour assurer la survie en envisageant toutes les évasions possibles est suffisamment inventive pour éviter tout ennui, et transforme progressivement l’appartement en un chaos assez jubilatoire. La lente dérive d’un Willem Dafoe qui se fait clairement plaisir accompagne un dispositif qui tend à opposer à l’art contemporain froidement exposé, exhibant la hype surcotée d’une époque, une nouvelle performance dans laquelle se jouerait la vie d’un homme. Le monticule central menant vers une potentielle sortie fait ainsi figure d’installation, et joue avec malice sur l’un des stéréotypes de l’art consistant à détourner les fonctions des objets du quotidien, retournant le dispositif pour faire de la galerie d’objets un potentiel réellement utile.


À ce mouvement se greffe une autre dynamique par laquelle les vertus premières de l’art ressurgissent : pour conjurer sa solitude – et l’inefficacité de ses divers plans d’évasion, le prisonnier s’adonne lui-même à une création purement esthétique, retour inévitable d’un folklore, voire d’une religion, pour un individu condamné par son solipsisme à recréer l’histoire de l’humanité. Un procédé qu’on pourrait considérer, en un sens, comme une version digestible du Mother ! d’Aronofsky, où l’on saurait laisser sa part au silence et à la contemplation, et dans lequel on questionne avec une certaine acuité les fonctions de l’art face à l’homme contemporain.

Sergent_Pepper
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le 3 nov. 2023

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