Habitué aux films qui absorbent les frasques du corps et se questionnent sur la caractéristique organique de la technologie, A History of Violence se veut être une oeuvre plus généraliste et surtout, plus mythologique. Capitonné entre film noir et drame familial, A History of Violence nous dépeint une société instinctive et sur les nerfs dans laquelle la famille serait une meute où le plus fort règne sur le plus faible. Cronenberg imagine alors la naissance de l’Amérique en dévoilant, tout en dévisageant, le véritable reflet d’une communauté qui se construit sur la violence, la folie de la filiation (le fils qui envie la virilité de son père) et qui suit avec avidité l’odeur du sang. L’enclos familial qui semble si serein au préalable n’est qu’une énième illusion d’une liberté d’être soi qui s’efface.


La simplicité du postulat de départ n’est que la fine surface d’un film à plusieurs couches. Un homme marié et père de deux enfants, propriétaire d’un restaurant d’une petite bourgade, tue par légitime défense deux malfrats qui voulaient s’en prendre à lui et à ses employés. Mais ce geste héroïque, qui semble si fluide et expérimenté, ne restera pas dans l’oreille d’un sourd. C’est alors qu’une bande de mafieux va vouloir le rencontrer. Tom Stall n’est peut-être pas celui qu’il dit être, cachant un passé plus tortueux qu’il n’y parait. Sous ses faux airs de série B, détenant un sens de l’efficacité redoutable et un découpage à toute épreuve, l’oeuvre de Cronenberg nous enfonce dans une noirceur totale, à l’image de son personnage principal : Viggo Mortensen incarne parfaitement ce père de famille aux allures idéales dont l’aura va petit à petit se craqueler entre un passé qui le rattrape et une violence chaotique qui le consume.


Pourtant David Cronenberg ne réalise pas un film à thèse. Alors qu’il s’apparente à une parabole qui égratigne une certaine vision de la justice et de la vengeance individuelle, A History of Violence est avant tout un objet cinématographique saisissant, qui ne dépare pas avec les obsessions de son cinéaste sur le corps et ses affres, par son ambiance quasi primitive qui s’enroule au travers de joutes sexuelles maritales torrides ou par des fulgurances sanglantes à l’esthétique tranchante. La mise en scène de David Cronenberg est en totale adéquation avec son film, où l’élégance des plans expressionnistes et l’aspect filiforme du montage s’acclimatent idéalement à la haine chaotique des personnages (incroybale Ed Harris).


Film de « commande » sur la nature humaine et la canalisation de ses démons, A History of Violence nous montre que l’Homme aime se dissimuler pour mieux se calfeutrer dans la société et créer un semblant d’imaginaire collectif rassurant à défaut d’être réellement honnête. A History of Violence est un bloc de marbre sur le mal et la dégradation des valeurs communautaires, à l’efficacité redoutable et d’une élégance stylistique mémorable.


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Velvetman
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le 2 nov. 2020

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