Après un « Peter et Elliott le Dragon » en phase avec nos attentes, David Lowery revient aux commandes d’une surprise de qualité. Il fallait peu de moyen pour mettre en place une dramaturgie aussi forte émotionnellement. Essentiellement concentrer sur l’instinct du spectateur et de sa vue, on partage un sentiment que l’on ressent au moins une fois dans sa vie. La mort est le témoin de l’oubli et du pardon. Tout ce qu’il y a de religieux, nous consentons à en accepter la métaphore et toutes les nuances qui l’accompagnent. Le sens de la vie mérite une étude entière et chaque personne aura droit à sa vision des choses. Lorsqu’il s’agit de déterrer tout ce qu’il y a après la vie, tout n’est qu’utopique. Mais dans ce fossé abstrait, réside une attention plus poétique et le réalisateur s’en empare avec un style bien épuré, sans sombrer dans un gimmick fastidieux. Ainsi, il réinvente ce qu’est un fantôme, il réinvente son histoire.


Casey Affleck et Rooney Mara forment un couple passionné et mélancolique, aux désirs limités. Leur identité ne nous est pas révélée, mais cela importe peu face à ce qui compte vraiment. Ce n’est pas la complicité qui les lie, c’est bien plus profond. Il s’agit de découvrir les vestiges de souvenirs perdus et l’empreinte qu’on laisse derrière soi. Après la mort de l’homme, son esprit hante les murs de son foyer. Spectateur du désastre que sa disparition a causé, il est devenu, aussi bien un fantôme du passé qu’un fantôme du présent. Le témoignage qu’il laisse est dépourvu de dialogue. Les longues séquences sont ici pour alourdir le fardeau de l’absence, décrivant le malheur laissé sur les individus en général. Au chronomètre, le choix semblerait ambigu, mais le résultat propose une lecture pertinente du deuil permanent de la femme et son mari. Bien que son silence en impose, on peut ressentir le chagrin qu’il partage avec sa partenaire, submergée de tristesse. On parvient peut à peu à se libérer frénétiquement d’une peine insoutenable pour passer davantage à un regard posé sur la réflexion humaine.


Le temps file et n’attend pas. Il fallait prévoir un voyage sur plusieurs générations afin de mieux accepter les nuances qui préoccupent la solitude de ce fantôme désemparé. Presque intemporel et presque démuni de son identité, ce dernier figure souvent en arrière-plan, afin que l’on fasse passer l’émotion avant tout. L’action que l’on illustre est souvent une fresque de la peine qu’il subit. Inerte, il dévoile pourtant un fort potentiel qui lance une dynamique d’introspection bien réfléchie. L’évolution, c’est tout ce qui change autour de lui. Dans l’esprit, il reste prisonnier de sa conscience et des responsabilités qu’il a perdues. De plus, il reste cloisonné dans un paradoxe, indépendant de sa volonté, comme si son châtiment était de devoir réparer quelque chose ou de se remémorer quelque chose.


La musique utilisée est loin d’être monolithique. Chaque parole est pesée avec une sensibilité, illustrant tout une impuissance dans le drame. Elle induit, en quelque sorte, un troisième personnage où il narre la déplorable avancée du désespoir et du regret. Cela rend la photographie plus crédible et le format adapte non pas son style par rapport à l’époque. Le temps est à considérer sur sa durée interminable plutôt que sur un événement ponctuel qui n’aura pas de raison d’exister plus longtemps. Que reste-t-il donc après la mort ? Une question qui ne trouvera que d’autres questions en réponse et ainsi de suite.


Le pari risqué que fait Lowery s’avère payant et « A Ghost Story » devient une histoire émouvante, au-delà de toute la spiritualité qu’elle dégage. Sans épouvante, sans regret, le film convainc autant par sa simplicité d’écriture que dans son effort à combiner les arcs temporels afin de définir le message que recherche le disparu. Au final, le personnage qui se trouve sous le drap blanc déjouent les codes, malgré son dynamisme et sa sensibilité induits dans la passivité. Il n’y a que des mots pour décrire, mais rien ne remplacera un visionnage attentif afin de se laisser surprendre et séduire. Sensoriel au plus haut point, l’évasion de l’esprit est garantie et ouvrira de nouvelles portes que l’on considère peu, alors que le plus petit détail peu changer la donne. Il est rare, en ce moment, de constater un tel niveau d’emprise sur l’émotion. L’expérience vaut le détour et finira par hanter notre âme, qu’il soit cinéphile ou non.

Cinememories
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le 30 déc. 2017

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