Après la vie, l’amour, vient le deuil. Avec l’incroyable A Ghost Story, David Lowery tente de chercher cette petite étincelle d’humanité qui survit après notre mort, à travers la tristesse de l’autre, mais aussi et surtout à travers le regard inerte du mort lui-même.


N’étant ni film sur la réincarnation des esprits ni un film d’horreur, A Ghost Story nous transporte dans une quête minimaliste sur le temps qui passe en suivant les pas lancinants du fantôme d’un défunt mari. Aucun CGI ni effets spéciaux grandiloquents dans une œuvre aussi simple que belle : le fantôme porte un drap blanc et a deux trous à la place des yeux. Cet accoutrement « cheap » aura pu désacraliser la torpeur de la situation, au contraire, il ne fait que l’amplifier. Du deuil d’un être aimé, qui est un drame intime et qui ne concerne que les proches, David Lowery avec ce « costume » rudimentaire agrandit son champ de vision pour se permettre de parler à tout le monde : le déguisement du drap blanc est rentré depuis longtemps dans l’imaginaire collectif et réussit particulièrement à retranscrire l’ambiance « lo-fi » et crépusculaire amorcée par le cinéaste.


En invoquant les frontières de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, A Ghost Story contient des résonances multiples. Que nous arrive-t-il quand nous mourrons ? Alors que le récit aurait pu se restreindre à n’être qu’une œuvre guimauve et lourdingue comme Ghost de Jerry Zucker, David Lowery embellit cette romance dramatique, joue sur les contrastes, accentue cette atmosphère solitaire, immortalise la souffrance et donne naissance à un métrage hybride qui s’intéresse autant à l’éclatement des émotions de la veuve, qu’à l’étalement du passage du fantôme dans la mémoire des vivants.


Avec ce métrage, c’est un regard qui se forme, qui scrute le moindre fait et geste, qui déambule autant dans les champs que dans les ruines, autant dans le présent que dans le passé. Alors qu’il est mort, il reste dans le monde des vivants, il transporte son fardeau mais devient presque omniscient : il est à la fois un ange gardien qui protège ses proches et un misérable spectre, un damné à la solitude absolu qui reste cloîtré dans un espace-temps qui ne lui appartient plus.


A Ghost Story pose une question importante : combien de temps restons nous dans l’esprit des vivants à partir du moment où nous mourons ? Quelle trace laissons-nous sur la Terre ? Quelle influence avons-nous sur la mémoire des autres, sur leur façon de vivre ? L’énigme même de l’existence de l’être humain n’est pas de son vivant mais se déploie bien après sa mort : est-ce que la continuité de l’humain se fait dans l’esprit de chacun ou se perpétue-t-il par la marque de la matérialité de nos actes ?


C’est l’un des nombreux thèmes métaphysiques sur la mémoire, la perte qui se faufilent dans A Ghost Story. Dans une scène pionnière du film, David Lowery filme Rooney Mara en train de manger une tarte entière dans un plan séquence de cinq minutes. Le chagrin peut être dévorant, mais il peut aussi se manifester progressivement, et se montrer fascinant dans sa mise en scène simple et déroutant dans sa portée émotionnelle. Au-delà d’être un film à thème, A Ghost Story est une histoire d’amour ombragée par le destin, un récit sensoriel encastré dans un cadre 4 :3 de toute beauté.


C’est le dessin d’une amertume silencieuse, une poésie qui s’envole dans des contrées inédites, une mosaïque de moments anodins qui résument une vie après la mort. Les années passent et le souvenir devient moins prégnant, la douleur commence à cicatriser. Pablo Larrain avait réussi à magnifier le deuil du personnage complexe de Nathalie Portman. David Lowery, lui, électrise de façon minimaliste le quotidien linéaire mais terriblement commun d’une Rooney Mara obsédante à travers une réalisation à la lenteur hypnotique. Sauf que le destin des vivants n’est pas forcément lié à celui des morts et inversement. L’attache doit disparaître pour mieux rester intacte. Alors que la maison tombe en ruine, le fantôme reste symboliquement enchaîné à ses murs blafards, jusqu’à ce que David Lowery décide de partir dans un questionnement cosmique, de faire interagir le monde des morts avec une temporalité qui n’est pas celle des humains.


En perturbant de la sorte le rythme fragmenté mais jusqu’alors linéaire du film, le cinéaste implique de plus que les morts ne sont pas liés par les mêmes lois du temps qui régissent les vivants. Manière d’amener son film dans des sphères plus globales et aériennes et prendre le pendant de ses influences que sont Bela Tarr et surtout Terrence Malick sur la création du monde. Une histoire de fantômes est une question de temps : la dilapider, la détériorer, se rendre compte qu’elle continuera sans nous. C’est sur le chagrin et la perte insondable.


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Velvetman
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le 21 déc. 2017

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