Bien triste est l’histoire que je vais vous raconter .
C’est celle d’un groupe maudit, auteur d’un chef d’œuvre absolu - que les initiés et les milieux autorisés placent systématiquement au niveau du Sgt. Peppers des Beatles et du Pet Sound des Beach Boys – et qui n’en tirera qu’une gloire anecdotique avant de sombrer rapidement dans un quasi oubli universel.



  1. Cinq étudiants anglais de St Albans jouent ensemble de la musique pour s’amuser.

  2. Un tremplin rock. Un contrat chez Decca. Une pop délicate et raffinée - très axée sur les claviers (Rodney, le leader-compositeur, en maîtrise un grand nombre, de l’harmonium au clavecin en passant par les orgues de tous poils) et le chant ( chœurs en abondance …et splendide voix du ténor Colin) - qui a du mal à trouver son public.
    1967 : de merveilleuses compositions sous les bras, The Zombies – fraîchement virés de chez Decca – obtiennent à l’arraché une maigre enveloppe de 1000£ de la part de CBS pour entrer en studio à Abbey Road. Clin d’œil du destin, c’est le 1er juin, jour même de la sortie du Sgt Peppers (budget 25000£…), que Rod Argent (claviers), Chris White (basse), Colin Blunstone (chant), Paul Atkinson (guitare) et Hugh Grundy (batterie) – 22 ans de moyenne - investissent l’antre mythique pour enregistrer à la vitesse grand V, sur des créneaux intermittents et en mono (faute de mieux…) les douze imparables morceaux dont il est ici question. Douze merveilles de pop music d’une richesse et d’un cachet mélodiques absolument renversants. Rien à jeter. Aucune faiblesse. Original, inspiré, lyrique, enlevé, expérimental, légèrement psychédélique, fourmillant d’idées (l’harmonium d’église sur la poignante Butcher’s tale, l’utilisation du Mellotron – instrument permettant de reproduire des ambiances d’orchestre-, les fines harmonies des chœurs, l’exceptionnel jeu de basse très en avant, les géniaux solos à l’orgue Hammond …), l’ensemble est une réussite absolue et évidente dont la beauté céleste bouleverse autant qu’elle excite. Difficile de mettre en avant un titre plutôt qu’un autre, mais il est vrai que le très groovy Time of the season constitue à la fois un fabuleux épilogue et un excellent résumé du disque.
    1968 : l’album est enregistré mais il n’est pas sorti. CBS ne veut pas sortir un disque en mono…mais ne veut pas non plus assumer le re-mixage. Rod et Chris (les autres sont dans la dèche) devront payer de leur poche les 400£ nécessaires au passage en stéréo ! Le projet n’avance pas. On décide quand même d’un titre : Odyssey and Oracle. Terry, le colocataire de Chris, est professeur de dessin : il se chargera de la pochette (carrément psychédélique, elle…une des plus laides de l’histoire de la quadrichromie, il faut bien l’avouer…) au lettrage tellement alambiqué que le premier Y d'Odyssey ressemble à un E (faut le faire !) . Plus de temps, plus d’argent : ce sera donc Odessey and Oracle qui sortira confidentiellement en avril 1968.
    De toutes façons, un mois plus tôt, le groupe, au bout du rouleau, s’était définitivement séparé. Colin a trouvé un boulot chez Sun Alliance Insurance, Paul dans une société d’informatique et Hugh chez un concessionnaire automobile. Les Zombies sont morts et enterrés dans l’indifférence générale.


Et après ? Eh bien un producteur américain du nom de Al Kooper tombe par hasard sur l’album. Il l’adore, le fait sortir aux Etats Unis, le single Time of the Season cartonne dans les charts et c’est ce qu’on appelle un gros succès posthume pour nos pauvres Zombies qui, tout revenants qu’ils sont, ne décident pas de revenir pour autant. Au point qu’un escroc fera tourner à leur place un groupe de faux Zombies à travers les States, histoire d’optimiser un peu les retombées…. Tragique jusqu’au bout cette histoire de losers magnifiques, non ?


Enfin bon, la plupart des Zombies reviendra à la musique par la suite, mais toujours sur le réseau secondaire. Colin Blunstone sortira des (magnifiques) albums en solo dans les années 70 . Rod Argent formera le très intéressant groupe Argent avec Chris White. Quant à Paul Atkinson (décédé en 2004), il tirera le gros lot en devenant manager du groupe ABBA (puis, accessoirement, de Judas Priest… ) . Le groupe (enfin, Blunstone et Argent) a fini par se reformer épisodiquement pour des concerts depuis 2008 : j'ai eu la chance inespérée de les voir en juin 2019 au festival Retro c'est Trop et c'était sacrément émouvant.


Odessey and Oracle, perle rare au propre comme au figuré : cet incontournable pan caché de l’histoire du rock est à (re)découvrir sans tarder !

RolandCaduf
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le 18 avr. 2021

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RolandCaduf

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