Made in Heaven
6.5
Made in Heaven

Album de Queen (1995)

Voilà, après plusieurs années de marathon à travers tous les albums de Queen du premier au dernier je m'étais exempté de parler de celui-ci. Ce n'est pas qu'il soit particulièrement mauvais, ni que je fasse un total rejet en raison des conditions de sa sortie, mais j'ai toujours eu du mal à le considérer comme un véritable album du groupe. Néanmoins, motivé par les conseils éclairés de certains abonnés et ayant un peu une sensation d'incomplétude persistante, je me lance à l'assaut de la dernière ligne droite de la dernière ligne droite.


  En ce qui concerne les adieux de Freddie Mercury en 1991 des suites de sa maladie, "Innuendo" se posait comme l'ultime bravade, le sourire narquois face à la mort mais aussi le salut plein de gratitude vis à vis du public. Freddie Mercury ne laissait donc pas une oeuvre inachevée, puisque, sachant la fin venue, il avait livré la plus flamboyante des conclusion, un bouquet final qui évoquait les meilleurs moments du groupe tout en s'incluant tout à fait dans l'actualité musicale de l'époque. Mais alors qu'est-ce qu'il y a après le bouquet final ? Normalement on rentre à la maison, on met le petit pull qu'on a pris parce-qu'il fait un peu frais quand même la nuit et c'est fini. Pourtant, en 1995, Queen publie "Made In Heaven" au titre sans équivoque avec de nouveaux morceaux (nous verrons que ce n'est pas tout à fait vrai), que la technologie a permis de livrer post-mortem, un peu comme le "Free as a Bird" des Beatles paru un mois plus tard.
Pour commencer, l'entreprise pourrait paraître d'un goût douteux. Le groupe surfe-t-il sur la popularité reboostée de son défunt chanteur pour actionner encore une fois le tiroir caisse et consolider les comptes en Suisse ? Ou est-ce que pour le moment il s'agit bel et bien d'un hommage sincère à leur figure de proue ? On verra par la suite paraître tous les ans un "nouvel" album de Queen, entre des lives oubliés finalement publiés (pour les opérations les plus honnêtes avec en particulier le "Live at Wembley '86"), des compilations thématiques ("Queen Rocks", l'idée intéressante mais inutile "Deep Cuts"), d'autres "Best Of" (avec des inédits pas inédits puisque venant des albums solo des différents membres) et les menaces de reformations avec un nouveau chanteur Queen+Paul Rodger et (tremblez) avec Adam Lambert (bon c'était pour l'Euro 2012 mais il y a eu des rumeurs inquiétantes quand même). On verra que par bonheur, "Made in Heaven" n'est pas encore dans cette logique, même si ça a pu donner des idées aux survivants pour l'après-après (sans John Deacon, parti en retraite et sans doute meilleur épargnant que ses amis). Et il y aura la Suisse dedans mais pas pour les raisons évoquées plus haut. Alors, je prends une goulée de Gatorade, et je finis la course.

L'album débute et finit sur l'étrange morceau "Beautiful Day", des nappes de synthé et une boucle de piano inutilisée de Freddie Mercury (datée de 1980) dans le style planant enveloppent la voix du chanteur dans un écrin soyeux et plutôt discret, donnant à celle ci un air éthéré étrange, comme suspendue hors du temps. C'est sans doute exactement l'effet recherché, renforcé par la méthode de production alors inédite qui consistait à récupérer tout ce que Mercury avait pu chanter sur la fin et de le mixer avec des instrumentaux créés par le groupe spécialement pour l'album. Cette production, qui valorise curieusement les aigus (il me semble) règne sur tout l'album et lui donne une réelle cohérence, et cette voix, éthérée donc, sera une constante d'un bout à l'autre des titres. C'est logique, le thème est on ne peut plus respecté, mais ça met un peu mal à l'aise à vrai dire. Comme je suis gentil, je n'irai pas jusqu'à dire que ça donne un côté tire-larme à toutes les chansons, mais il y a un peu de ça quand même.


On arrive alors au point qui fait que mon avis sur l'album est mitigé. "Made in Heaven" est une très jolie chanson, mais elle n'a rien d'inédit puisque issue de l'album solo de Mercury "Mister Bad Guy". Ici elle est remodelée de façon nettement plus rock avec l'apport de la guitare de Brian May et d'un riff puissant comme il sait en produire. Le résultat est plutôt concluant, mais la méthode est contestable, en sommes nous à une recréation ou à un refourgage ? Je penche quand même pour la première solution grâce au fait que c'est assez bien réussi et que les guitares remplacent avantageusement le lourd piano de l'originale, mais gare.
"Let Me Live" est une sorte de pop-rock qui renoue avec le gospel de "Somebody to Love" mais cette fois avec un vrai choeur. La chanson avait été commencée à l'époque de "The Works" soit autour de 1984 et devait être une collaboration avec Rod Stewart qui passait par là. La chanson comportait par ailleurs un passage trop proche du "Peace of My Heart" de Emma Franklin (ou Janis Joplin pour sa version la plus célèbre) si bien qu'il a dû être supprimé (c'est dommage). Le morceau a donc été complété avec des complets chantés par Roger Taylor puis Brian May (à la place de Rod) et agrémenté d'un choeur gospel ambitieux. Encore une fois, ça marche, mais on n'est pas loin de déraper dans le michaeljacksonnisme, on l'évite de peu et la chanson reste tout à fait agréable.


"Mother Love" prend une direction tout à fait différente, elle pourrait être issue des moments les plus noirs de "Innuendo" et honnêtement, avec les envolées les plus vertigineuses de Mercury elle a de quoi donner le frisson. Il s'agit cette fois ci d'un véritable morceau, dernière collaboration de Brian May et Freddie Mercury et dernier enregistrement du chanteur au bout du bout. Difficile d'imaginer l'atmosphère pesante qui devait règner à son enregistrement, difficile aussi d'imaginer que le chanteur a enregistré ses prises littéralement au portes de la mort. Le dernier couplet est chanté par Brian May, car Mercury n'a jamais pu venir la terminer lui-même. Le groupe a inclus en conclusion des extraits du "Going Back" (auquel le chanteur a apporté sa contribution) et du "I can Hear Music", parmi les tous premiers enregistrements de Larry Lurex en 1972 soit un avatar de Freddie Mercury peu avant l'album "Queen". On y entend également des cris de nouveau né et les clameurs de la foule sur l'intro de "One Vision", de quoi créer une atmosphère des plus poignantes pour qui a suivi l'aventure Queen depuis le début.


"My Life Has Been Saved" allège un peu les choses, composition qu'il est assez facile d'attribuer à John Deacon, elle est issue de sessions de 1988 ou 1989 soit au moment de "The Miracle" et constituait dans une version différente la face b de "Scandal". Elle porte bien les marques de cette période même si le groupe l'a réarrangée pour l'inclure au présent album. Pas spécialement marquante ni spécialement mauvaise, elle apparaît un peu comme du remplissage si on ne tient pas compte de son titre en forme d'épitaphe.


"I Was Born to Love You" est par contre particulièrement joyeuse. Encore une fois, le morceau n'est pas du tout inédit puisqu'il provient lui aussi de l'album "Mr Badguy" dont il était même un single. Le groupe a énormément modifié le matériel d'origine, la chanson est accélérée pour devenir un rock énergique un peu naïf. Bon on se doute que le "you" de la chanson d'origine n'est plus une quelconque conquête mais bel et bien le public de Queen comme c'était déjà le cas dans "Love of My Life" (et comme le confirme le clip tardif de 2004) mais pas vraiment du même niveau.


"Heaven for Everyone" est le titre phare de l'album, son premier single. Etrangement, il s'agit en réalité d'un morceau de Roger Taylor pour son projet solo "The Cross". Freddie Mercury avait finalement chanté le morceau en tant qu'invité spécial du groupe formé par le batteur et c'est à partir de ces bandes que le groupe a reconstruit le morceau présent sur cet album. La chanson échappe au style un peu lourdaud auquel Roger Taylor nous a habitué par le passé et se revèle même assez délicate. Elle représente tout à fait l'ambiance générale de l'album, entre émotion et ennui. C'est un peu triste à dire mais cette chanson aurait gagné à être plus concise. Brian May chante une partie des paroles qui, avec The Cross étaient chantées par le batteur, comme dans une sorte de transfert.


Arrive sans prévenir "Too Much Love Will Kill You", qui est pour moi la réussite de cet album. Morceau de Brian May qui évoque les tourments d'un homme infidèle qui n'arrive pas à choisir l'une ou l'autre, les paroles prennent dans ce contexte un tout autre sens. Le guitariste l'avait par ailleurs déjà chantée et jouée sur son album solo, le live "Back to the Light" de 1992, pourtant, cette fois ci, alors qu'elle avait été écrite entre "A Kind of Magic" et "The Miracle", l'alchimie fonctionne. Freddie Mercury l'avait interprêtée à l'époque sans qu'elle ne soit publiée. Le groupe a gardé sa version et a ajouté une nouvelle instrumentation toute en retenue. Clairement le point culminant de l'album, là où l'émotion n'a rien d'artificiel et où point une noirceur jamais entendue chez Queen.


"You Don't Fool Me" est du même tonneau, même si cette fois elle a été conçue bel et bien sur la fin du groupe, soit vraiment peu de temps avant la mort de Mercury. La basse proéminente, dansante même, contraste avec une certaine noirceur encore présente dans ce morceau. Il s'agit en fait d'un gros patchwork entre des enregistrements tardifs de Freddie Mercury, de parties du morceau suivant "A Winter's Tale" et de choeurs. Là aussi ça fonctionne, le morceau ressemble à une version sombre de ce que "Hot Space" ou dans une moindre mesure "The Game" proposaient. Le rythme et le schéma en spirale sont particulièrement effficaces et c'est exactement ce genre d'étincelles qui font que "Made in Heaven" gagne en légitimité.


"A Winter's Tale" est le dernier vrai morceau de l'album. Freddie Mercury en est l'auteur unique et il s'agit d'une chanson qu'il a écrite en raison de l'attraction exercée par les paysages Suisses aux abords de Montreux où se trouvait le studio et où se trouve désormais la statue du chanteur qu'on voit sur la couverture. Il s'agit d'une vignette dans la même veine que "Bijou" sur "Innuendo" par exemple, avec des paroles un peu naïves mais enthousiastes, nimbées de l'atmosphère froide et irréelle qui plane sur tout l'album. L'auditeur attentif notera le clin d'oeil "it's a kind of magic in the air".
"It's a Beautiful Day reprise" (version un peu plus musclée de la première avec inclusion de samples de "Seven Seas of Rhye"), "Yeah" et un long morceau instrumental sans titre concluent l'album. Le "Yeah" est issu de la chanson "Don't Try Suicide" sur "The Game" si vous voulez tout savoir et l'instrumental consiste en une boucle de la musique de "It's a Beautiful Day" avec plusieurs effets synthétiques et des déformations de la voix de Mercury. C'est atmosphérique, ambiant, mais il n'y a rien de spectaculaire là-dedans d'autant que l'implication du groupe y est minime face à celle du producteur David Richards.


Pour compléter l'expérience de l'album, il est intéressant de visionner les différents vidéo-clips conçus par des étudiants en cinéma qui se sont vus confier la tâche de mettre des images sur les chansons. Les clips s'écartent des habituelles images du groupe et racontent chacun des histoires plus ou moins liés avec les thèmes des morceaux, plus court métrages que clips finalement.


Au final donc, l'album n'a rien du recyclage honteux de matériel dans le but de fourguer un nouvel album aux fans. Il est forgé de bonnes intentions et on sent qu'un soin particulier a été apporté au fait de produire quelque chose d'intéressant. Néanmoins, il me laisse une impression mitigée, moins pour le côté post-mortem que pour le résultat final inégal. Autant "Mother Love", "Too Much Love Will Kill You" et "You Don't Fool Me" font que j'y reviens de temps en temps, autant la chanson titre, "My Life Has Been Saved", "A Winter's Tale" ou même "Let Me Live" et "Heaven for Everyone" me laissent globalement indifférent et me donnent l'impression d'un album très long. L'adieu est d'une émotion sincère, c'est vrai, mais "Innuendo" était nettement plus réussi et remplissait parfaitement cette fonction. Freddie Mercury avait souhaité que toutes ces dernières contributions soient utilisées pour un album et en ça il avait raison puisque ces derniers morceaux sont ceux qui font tout l'intérêt de "Made In Heaven". C'est donc un album à conseiller aux fans ou à ceux qui n'aiment pas quand il manque une pièce au puzzle (mon cas) mais difficile à recommander à quelqu'un qui voudrait découvrir ce groupe.


Peut-être qu'un jour je reviendrais à mon marathon, j'ajouterais peut-être quelques tartines sur les albums live qui valent bien mieux qu'un vulgaire best-of, peut-être pas. Comme je l'ai souvent dit ici Queen est le groupe de mon adolescence, celui qui m'a fait aimer la musique sous toutes ses formes. Aujourd'hui je ne peux pas dire qu'il s'agit de mon groupe préféré, mais c'est certainement celui que je connais le mieux, comme un membre de la famille et surtout comme une fantastique machine à voyager dans les souvenirs. Si j'ai été si expansif sur ce groupe c'est bien pour ces raisons, mes notes manquent d'objectivité mais que voulez-vous, on ne peut pas donner une note à son tonton à moustaches !

Créée

le 12 sept. 2013

Modifiée

le 12 sept. 2013

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I Reverend

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