Brutal Planet
6.9
Brutal Planet

Album de Alice Cooper (2000)

We're spinning round on this ball of hate.

Le silence radio a été relativement long depuis un "Last Temptation" très conceptuel mais pas très accrocheur et l'an 2000 vient en quelque sorte remettre les compteurs à zéro. Le rock a eu largement le temps de muter depuis la fin des années 90, on ne parle plus trop de grunge, les radios sont envahies par le néo-métal, les boys bands ont encore un pied dans la porte et l'indus, dans sa frange la plus abordable, Marilyn Manson, Nine Inch Nails et Ministry en tête, constitue une alternative fort acceptable pour les amateurs de sensations fortes.
"Brutal Planet", de nouveau produit par Bob Ezrin (et Bob Marlette) mais sur le label indépendant Eagle Records, débaque dans ce climat étrange de fin de siècle, le bug n'a pas eu lieu alors que faire ?
A son âge Alice Cooper ne peut plus vraiment prétendre au statut d'épouvantail de l'Amérique, pour ça la relève a été prise par Marilyn Manson ou Slipknot qui font nettement plus peur aux parents. Pourtant cette Amérique va plutôt mal. La télé réalité bat son plein et les jeunes rêvent de gloriole éphémère sous n'importe quel prétexte, et ça c'est dans le meilleur des cas. Dans le pire, les ados en mal de reconnaissance prennent les armes et massacrent leurs camarades de classe, comme à Columbine l'année précédente.

C'est de tout cela que se nourrit l'album que livre le Coop, le titre n'est pas là pour rien, ce sera effectivement brutal. (sauf si vous faites partie de ceux qui disposent de la mystérieuse édition de chez Carrefour appellée
"Pick Up The Bones - His Latter Records")

On commence par la chanson titre, marquée par un riff puissant et des sonorités indus. Le contexte y est donné sans équivoque et avec une puissance et même une violence rarement entendues chez Alice Cooper. Des choeurs féminins, plutôt que d'adoucir la chanson, viennent en souligner la noirceur. Rappelons que le chanteur a 52 ans à l'époque, pas vraiment l'âge de la rebellion adolescente. En tous cas ça peut surprendre, et pas en mal. L'introduction est parfaite.

"Wicked Young Man" arrive sans laisser le temps de respirer avec un nouveau riff bien senti et bien rentre dedans. Les paroles ne sont pas en reste, d'une noirceur et d'une violence peu communes (et un humour très très noir) elles évoquent frontalement la fusillade de Columbine. Là où "School's Out" parlait de la destruction festive de l'école, Alice revient ici sur les lieux du crime bardé d'explosifs et de produits inflammables mais le ton n'est plus du tout le même. C'est pourtant très réussi et surtout très cohérent. Après le massacre, on a accusé les jeux vidéo ou la musique d'avoir été à la source de cette violence. Alice Cooper remet les choses en perspective en décrivant un jeune homme déterminé à faire le mal, par lui même, et pas parce-qu'un chanteur maquillé lui a dit de le faire. Puisqu'il a jadis occupé cette place de cauchemard de l'Amérique puritaine, Alice Cooper est tout à fait qualifié pour intervenir sur le sujet. Tout contexte mis à part, c'est surtout une excellente chanson !

"Sanctuary" poursuit sur un thème voisin. Les guitares sont acérées et la rythmique très très énervée. Les couplets sont plus récités que chantés, comme un journal intime particulièrement désaxé, tandis que les refrains incitent à bouger sa tête un peu dans tous les sens. On y suit un jeune homme désespéré par un avenir banal avec femme, enfants et crise cardiaque à 40 ans ne trouvant refuge et consolation que dans le sanctuaire de sa chambre en bordel. Encore une fois ça fait mouche. Ce style qu'on n'attendait pas chez un chanteur relégué trop vite au musée lui convient parfaitement.

"Blow me a Kiss" ne me fera pas mentir. Avec un metal qui lorgne un peu vers KoRn sur les bords vers le début, le chanteur évoque de nouveau la difficulté d'être un ado atypique. On y parle de préjugés, d'orientation sexuelle mal définie, mais cette fois sur fond de rancoeur et de colère plutôt que sur le terrain de l'humour. Encore une fois c'est plutôt réussi et tout à fait adapté au défoulement sur scène.

Le rythme ralentit un peu avec "Eat Some More" sur le thème du gaspillage et de la destruction de cette planète brutale qui, bien-sûr et contrairement à ce que dit le scénario servi par le Coop lorsqu'il décrivait le contexte de l'album, est la notre. Le thème n'avait jamais été abordé par un chanteur qui n'a jamais été du type "à message". Ca passe allègrement, sans tomber dans un trop plein de phrases bien pensantes, sur une composition fouillée avec des morceaux de Nine Inch Nails dedans (période "The Fragile"). Il est rare que le pessimisme prenne une part si importante chez le chanteur sans se teinter d'une certaine forme d'humour.

"Pick up the Bones" ne va pas redonner le moral aux plus sinistres d'entre nous puisque d'une façon tout à fait crue, la chanson parle d'un survivant qui collecte littéralement les restes de sa famille après des affrontements armés. La chanson a été écrite par un Alice Cooper horrifié par un reportage sur la guerre en Bosnie. Encore une fois, c'est un morceau particulièrement efficace, au rythme ralenti durant des couplets où la voix du chanteur et la guitare sèche ne sont accompagnés que d'un souffle sinistre, et encore une fois dénué de toute trace d'humour. Ca en fait froid dans le dos.

Devinez quoi ? "Pessi-Mystic" ne va pas parler de fleurs des champs. Il s'agit d'une chanson en forme de prophétie d'une noirceur absolue quant à ce qui nous attend. Encore une fois le chanteur a pu se cacher derrière l'idée du concept de cette "Brutal Planet", on se doute bien qu'il ne parle pas de Mars. Le morceau en lui même est marqué par une noirceur et une lourdeur appuyées. Seul un solo inspiré vient apporter une touche de lumière vers la fin avant que la machine ne se remette en marche de plus belle.

"Gimme" renoue avec le concept du tentateur qu'Alice Cooper aime tant utiliser. Cette fois, le chanteur se met à la place du diable et, soutenu par un riff particulièrement puissant, tente de nous convaincre d'apposer juste une petite signature en bas à droite. Le thème n'est pas neuf, mais il est habilement tourné pour s'insérer dans un contexte de célébrité immédiate et de télé-réalité alors en pleine explosion. Il n'y a effectivement qu'une légère concession à faire pour obtenir la gloire et l'exposition aux caméras. Le clip, plutôt amusant, qui soutenait la chanson montrait un groupe de jeunes gothiques prêts à signer avec ce diable de Cooper pour se changer en un lumineux boy's band (avant d'exploser, littéralement). Un peu d'humour donc, ça ne fait pas de mal quand c'est pour la bonne cause.

"It's the Little Things", morceau toujours très produit et orienté métal est toutefois un peu plus rock'n'roll dans son approche. On y suit un psychopathe (aaaah ! soupire l'amateur en joie) avec dans le refrain l'évocation directe des "Welcome to my Nightmare" et "No More Mr Nice Guy". On revient donc un peu en terrain connu, même si le ton est toujours très cohérent avec le reste de l'album.

Tiens, il n'y avait pas eu assez de violence. Et il n'y avait pas encore eu de power-ballad de rigueur. "Take it Like a Woman" vient remédier à tout ça d'une pierre plusieurs coups. La violence faite aux femmes est un thème récurrent chez Alice Cooper, difficile de savoir dans quelle mesure ce sujet lui tient à coeur. La chanson comporte son lot de cordes et de piano, ce qui contraste avec la brutalité du reste de l'album, pur un sujet pourtant tout aussi sombre. A première vue on pourrait penser qu'il s'agit d'une ode à une femme qui, malgré ce qu'elle a subi, garde sa dignité et parvient à faire face pour se reconstruire. Pourtant, et c'est là une subtilité fréquente chez Alice Cooper, on se demande s'il ne s'agit pas plutôt de la chanson de son tortionnaire qui, malgré ses abus, ne peut qu'admirer la resistance de sa victime. Ce genre d'humour très noir et très glacial n'est pas étranger au chanteur, il s'agissait déjà de ça sur le sublime "Only Women Bleed" (qui a été repris par Tina Turner rappelons le).

La violence conclut l'album comme il avait commencé. "Cold Machines" impose son riff complètement emprunté au "Beautiful People" de son filleul maquillé au nom de fille, Marilyn Manson. Il s'agit d'un clin d'oeil avoué et volontaire. Les paroles quant à elles sont relativement proches de celles de "Clones (We're All)" sur "Flush the Fashion". Dans un univers aseptisé et automatisé, le personnage se demande qu'elle est la place de l'individu et éventuellement, de l'amour au milieu de toutes (s)ces machines.

L'écoute de ce "Brutal Planet" est éprouvante, mais elle récompense généreusement l'auditeur avec un album fouillé, très (trop ?) produit et bourré de petites pépites. C'est sombre, c'est violent, et peu de concessions sont faites à l'humour jadis si important chez le Coop. C'est également un album particulièrement cohérent où rien ne dépasse du concept. Il est censé évoquer un univers de science-fiction emprunt d'une insondable noirceur, c'est pourtant bel et bien de sujets d'actualité du monde réel qu'il parle d'un bout à l'autre. L'objet est étrange, on regrette l'humour de jadis et cette suproduction a tendance à gommer la personnalité de cet effort. Cet album a de quoi surprendre, mais il rassure ceux qui auraient pu douter de la pertinence d'un Alice Cooper au crépuscule du XXe siècle.
I Reverend

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8
21

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