Un groupe peut-il survivre à la perte de son emblématique chanteur ? Oui. Tout dépend de qui tient la barque en termes de composition. Et il suffit de constater qu’une forte collaboration entre musiciens peut aider à traverser cette épreuve (il n’y a qu’à écouter les premiers albums de Genesis sans Peter Gabriel) ou à se réinventer complétement (New Order).
Pourtant, on a beaucoup maugréé contre l’annonce du retour d’Alice in Chains. Moi le premier. Layne Staley était bien trop important pour être oublié de sitôt. Non seulement, il était la voix des papes du heavy metal grungy, il était également ce qui leur a donné cette aura particulière. Entre mélancolie et profonde dépression. Des sentiments indissociables des riffs lourds et métalliques de Jerry Cantrell.


Ça serait toutefois oublier un détail important : Cantrell a toujours composé la presque intégralité des chansons du groupe. Au pire, l’échec d’un nouvel album serait entièrement de sa responsabilité. Cela nous soulagerait presque que Staley ait disparu avant cette supposée débâcle. Le pauvre ayant terminé sa vie d’une manière tout sauf paisible (6 ans d’isolement et de drogues pour s’éteindre d’une overdose, seul, dans son appartement). Un blackout médiatique et créatif qui aura laissé orphelin beaucoup d’entre nous.


Bzzzzzz ! Balayons d’un revers de main toutes ces informations pouvant polluer nos attentes vis-à-vis d’une reformation aussi controversée que celle de Queen sans Freddie Mercury. Surtout que tout cela parait dérisoire aujourd’hui tant les retours sont devenus monnaie courante. Pourquoi ? Parce que Black Gives Way to Blue est un bon album. Et même un album d’une qualité inespérée tant on pouvait craindre le pire vu que l’inspiration des grandes formations des 90s s’est souvent ratatinée dans les années 2000.


A ce sujet, une rapide analyse du contenu du disque pousse à émettre des réticences au sujet du nom du groupe. Puisqu’il ne s’agit pas réellement d’un album d’ Alice in Chains, mais d’une œuvre de Jerry Cantrell ! Sa carrière solo n’ayant jamais été passionnante, on a heureusement la bonne surprise de constater qu’il a soigné son songwriting. Les cinq premiers morceaux sont mélodiques à souhait et soutenus par une guitare efficace. « Check My Brain » mélange sans complexe une harmonie vocale chiadée sur un riff lancinant et hypnotique. « Your Decision » s’avère même capable de nous remémorer leurs mythiques ballades des 90s.
A défaut d’être transcendant, l’illustre inconnu derrière le micro, William DuVall, s’avère être un bon complément à Cantrell. Les harmonies à double voix étant ce qui constitue souvent la sève de ce quatuor depuis leurs débuts. Des vocaux fantomatiques nous donnant cette tenace sensation que le fantôme de Staley plane sur ce skeud. Un sentiment atteignant son paroxysme sur son sommet : « Private Hell ». Seul instant où on retrouve cette atmosphère mêlant noirceur et tristesse qui a rendu intemporelles des œuvres telles que Dirt ou l’opus de 1995.
Black Gives Way to Blue s’avérant, certes, très bon dans ses meilleurs moments, il n’en reste pas moins inégal (exceptée la fameuse piste 10, la seconde moitié est moins bonne que la première et elle est plombée par une série de titres banals). Le plus décevant est le final, censé être un hommage pour Staley (Elton John est en plus invité pour pianoter sur son instrument fétiche !), faisant pschiiiiiit… Voilà qui est bien triste de terminer sur une composition sans envergure, surtout quand c’est en mémoire d’une des plus grandes voix de la génération X.


Tout cela doit mettre la puce à l’oreille des plus malins : même dans ses meilleurs instants, Alice in Chains ne parvient jamais à égaler son glorieux passé. La faute à un manque de surprise faisant régulièrement du mal aux reformations. La faute également à une bande revenant d’entre les morts dans un contexte qui n’est pas le sien. Les années 1990 et les années 2000 n’ayant rien à voir. Et si faire du bon grunge de nos jours peut être touchant, cela n’enlève rien au côté désuet de la chose. Un peu de modernité n’aurait pas fait de mal à la musique.
Aussi honnête et sympathique soit-il, Black Gives Way to Blue est du même tonneau que le dernier Soundgarden : on aurait pu largement s’en passer. Il est malheureux que Cantrell ne l’ait pas compris et ait continué à jouer sous un nom plus prestigieux que le sien. Réussir son comeback sans faire honte à son passé n’était-il pas suffisant pour lui ? The Devil Put Dinosaurs Here semble être une réponse négative de sa part.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
6
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le 9 sept. 2017

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