Giant Steps
7.7
Giant Steps

Album de The Boo Radleys (1993)

Qu'est-ce qui sauve un disque de l'oubli ? Sa qualité intrinsèque ou la progéniture qu'il engendrera ? S'il y avait une justice en ce bas monde, c'est la première caractéristique qu'on retiendrait en priorité.


Aujourd’hui, Giant Steps est pratiquement oublié. Ce skeud aura pourtant fait parler de lui à sa sortie car régulièrement logé au sommet des tops des différents magazines de critiques musicales.
Les Boo Radleys arrivaient au bon moment. L’instant où le shoegazing était sur la paille, car ignoré par beaucoup pour de mauvaises raisons et ces derniers réussissaient à le rendre plus abordable sans lui faire perdre sa saveur. Ces britons n’étaient pas comme tout le monde en même temps. Plus éclectiques, plus déjantés et surtout plus volontairement pop que certains de leurs congénères. Ils aimaient autant les Beatles, Love que My Bloody Valentine. Tout comme pouvait l’être Ride, mais dans une moindre mesure, ils incarnaient la réconciliation entre un (pop) rock de tradition et un rock noisy, évanescent en phase avec une génération X aux antipodes des candides années 60 car désabusée.


Si Everything's Alright Forever était leur Sgt. Pepper's, alors Giant Steps est leur Revolver. Contrairement au premier, l’accent est moins mis sur les arrangements et les atmosphères mais plus sur les chansons… Même si la production de cet album aura mobilisé un travail titanesque. Difficile de ne pas s’en rendre compte lorsqu’on entend ce tourbillon d’instruments où se côtoient cuivres, basse dubby, vagues de guitares noisy et claviers psychédéliques. La bande va jusqu’à convoquer une foule de personnes en renfort. De parfaits inconnus côtoyant des membres du gratin indé de cette période (Meriel Barham des Pale Saints, Moose au grand complet ou encore Margaret Fiedler de Laika).


Toutes les intentions du groupe sont claires : créer un album ambitieux, riche tout en n’oubliant pas d’être immédiat comme les plus grands chefs d’œuvres de la pop. Giant Steps se découvre en plusieurs fois et permet un plaisir renouvelé sur le long terme. Un plaisir qui se décuple à l’écoute de cet éclectisme parfaitement maîtrisé qui permet à la formation de naviguer du shoegaze (l’hymne « I Hang Suspended » ou le frontal «Take the Time Around »), à la comptine pop chantée par la voix fragile de Sice (« Thinking of Ways »), en passant à des pièces fortement progressives dans l’esprit (« Butterfly McQueen » et son changement de rythme imprévisible) pour terminer sur de l’électro dub (« Lazarus ») et une chorale (« The White Noise Revisited »).


Euréka ! Ce disque n’est rien d’autre qu’un miracle de collages sonores et mélodiques entre divers genres mais qui évite leurs travers. En réalité, Giant Steps est une musique totalement à l’image de ces lointaines années 1990 : hybride car volontairement attirée par cette recherche de créer un alliage contre nature en théorie… Seulement en théorie.


Cela n’explique pas pourquoi un tel kaléidoscope musical n’a jamais finalement atterri dans les manuels du rock des 90s. Très certainement la faute à la suite d’une carrière imprévisible d’un groupe qui ne voulait pas être enfermé dans une case… Ou bien parce qu’ils sont tout simplement peu cité ? Cela n’a jamais rendu une musique bonne, mais c’est toujours rassurant pour les personnes n’assumant pas leurs goûts musicaux. Pourtant, difficile de ne pas deviner dans les circonvolutions sonores d’un « Spun Around » ou de « I've Lost the Reason » les futurs gargouillis psychédéliques des adulés Animal Collective… Dommage que ces derniers n’aient finalement pas retenu le talent mélodique des Boo pour se concentrer principalement sur leurs effets sonores.


Entre songwriting aux petits oignons et arrangements d’une douce bargerie, Giant Steps n’a finalement qu’un seul défaut : posséder le même nom qu’un album d'un jazzman pénible… Le pire étant qu’il s’agit justement d’un hommage.
On ne peut pas être toujours irréprochable. Mais on vous pardonne cet écart pour cette fois messieurs, tant votre œuvre est une source de plaisirs immenses. Quand la légèreté de la pop rencontre les délires d’un psychédélisme assourdissant et farfelu.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums du shoegaze et Les meilleurs albums des années 1990

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le 15 août 2015

Critique lue 428 fois

14 j'aime

Seijitsu

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