D'abord, comme un bruit de plongeon. Puis les remous des profondeurs de la mer, traversés de la respiration lente et profonde des plongeurs sous-marins. Puis le chant du ressac sur une plage fait émerger l'auditeur d'une première minute d'effets sonores, pour sauter sur une explosion percussive dans la danse vive et enjouée de "Calypso", premier du nom.
Ainsi débute ce drôle d'album, dont l'énorme oreille jaune en couverture invite à écouter avec attention le bleu profond des océans et des mers que Jacques-Yves Cousteau arpentait alors à l'époque, pour appeler à leur préservation. Visiblement remis d'aplomb après la valse-hésitation de Révolutions, son précédent opus en demi-teinte, Jean-Michel Jarre est allé chercher l'inspiration du côté de l'île de Trinidad, dans les sonorités percutantes des steel drums et dans les rythmes insulaires.
Et ça marche. Le mélange des genres, entre synthétiseurs ultra-modernes et instruments de récupération faits à partir de barils de pétrole, produit une musique au son totalement neuf pour le compositeur, même si on reconnaît sa manière de camper des séquences de basse ultra-dynamiques pour porter ses morceaux.


Après le très festif "Calypso" d'ouverture - qui fournira un final sur mesure au formidable concert du 14 juillet 1990 à la Défense -, Jarre nous conduit dans les mystères des profondeurs avec la première partie, dense et envoûtante, de "Calypso 2". Basses ronflantes, séquence métronomique, sons puissants : on retrouve de la profondeur dans la production, ainsi qu'une belle mélodie jouée dans les aigus de la harpe laser. La deuxième partie du morceau, qui signe le retour des steel drums et d'un tempo rapide, régale par la clarté de son orchestration, où la moindre note de séquence résonne fort et clair ; seul bémol, le manque de variété dans l'écriture, qui laisse un peu sur sa faim.
Sur une batterie lourde et répétitive, enfin, "Calypso 3" balance une sorte de ballade électronique, émouvante et lyrique, achevée sur une boucle de refrains par deux solos, l'un aigu et technique, l'autre grave et profond.


Et c'est tout pour la première partie du disque.
Commence alors le quatrième et dernier titre, l'éponyme "En attendant Cousteau", crédité sur cassette audio de 22 minutes, sur cd de 47 minutes. En réalité, il pourrait durer dix minutes comme dix heures, tant il est conçu pour étirer le temps, le suspendre, et faire perdre à l'auditeur tout repère usuel. Posé sur des nappes transparentes en ré mineur, un piano solitaire dissémine çà et là quelques notes perdues dans l'immensité, dont la reverb très prononcée prolonge l'écho comme le son se propage dans l'océan. Le principe est simple, il n'a ni début ni fin.


Il a beaucoup été dit que ce morceau avait été généré par ordinateur, à l'aide d'un logiciel de composition aléatoire. Dans une captivante interview accordée à un blogueur scandinave, Jarre réfute cette théorie et affirme avoir tout joué lui-même.
Au fond, peu importe. Car ce titre à nul autre pareil a la vertu d'hypnotiser, d'apaiser, de faire réfléchir, de créer un espace-temps unique et familier à la fois. A la première écoute, je me suis senti floué, je l'avoue. En lisant la pochette avant d'entendre le disque, la perspective d'un morceau de Jarre de 47 minutes m'excitait au plus haut point. C'était dingue, quelle ambition ! Évidemment, au fur et à mesure que j'écoutais "En attendant Cousteau", à force d'attendre des événements, des ruptures, des bifurcations musicales qui ne viendraient jamais, j'ai eu l'impression frustrante que Jarre se foutait de ma gueule.


Et puis en fait, non. J'ai commencé par ouvrir ce morceau lorsque je voulais travailler au calme, réviser des examens, apprendre des leçons. La magie était instantanée, je n'ai jamais aussi bien bossé qu'avec "En attendant Cousteau" en fond sonore (plutôt qu'avec n'importe quelle autre musique). Et c'est encore le cas aujourd'hui. D'ailleurs, je rédige cette chronique en l'écoutant, au casque. Immersion totale garantie, à l'image d'un album déséquilibré en apparence, mais qui réserve la surprise de plutôt bien vieillir, voire de garder un côté intemporel grâce à son morceau-titre.

Créée

le 18 févr. 2020

Critique lue 612 fois

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ElliottSyndrome

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