À défaut de pouvoir découvrir tout de suite le film, remis aux calendes romaines pour cause de Covidus, on peut depuis aujourd'hui déguster un petit bout de Kaamelott - Premier Volet grâce à la bande originale fraîchement parue. Et qui est, ô joie, largement plus qu'un modeste lot de consolation.


La partition est, bien entendu, signée de l'homme-orchestre Alexandre Astier, pas décidé à déléguer les postes les plus importants (scénario, réalisation, rôle principal, montage et donc musique) sur ce qui est et restera sans doute le grand œuvre de sa vie.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la surprise est très bonne. Voire excellente, à mesure que j'ajoute de nouvelles écoutes du disque et que j'en découvre la richesse et la finesse, d'autant plus saisissantes que le chef en signe la composition ET l'orchestration - exercice particulièrement complexe et périlleux de l'écriture musicale.



Flash-back



Alexandre Astier affirme depuis toujours qu'il est davantage musicien qu'auteur, ou acteur, ou metteur en scène. Très bien, sauf que jusqu'à aujourd'hui, on devait un peu le croire sur parole, voire se dire qu'il surestimait peut-être le musicien en lui, étant donné le peu qu'il nous avait donné à écouter.


De quoi disposions-nous concrètement ?
Pour commencer, des thèmes composés pour Kaamelott, la série. De bons voire très bons morceaux dans les cinq premiers livres, quoique plutôt brefs et peu nombreux. Pour les saisons 1 à 4, en effet, constituées d'épisodes courts (trois minutes pour les trois premières, sept pour la quatrième), il y avait assez peu de place pour la musique.
Les choses changent un peu à partir du Livre V, où Astier brise le carcan des vignettes humoristiques brèves et se lance dans de longs épisodes, beaucoup plus complexes et ambitieux à tous points de vue - notamment visuels et sonores. Le Roi Arthur s'offre alors un superbe titre de générique, (trop) court mais gracieux et puissant ; ainsi que de belles interventions, ponctuelles toujours, mais qui donnent une épaisseur intéressante, par exemple grâce à un arrangement tourmenté qui accompagne les interventions néfastes de Méléagant.


Las, le Livre VI amène les premiers motifs d'inquiétude et de méfiance. Audacieux mais maladroit, Alexandre Astier propose en effet, en contre-point de la luxuriante reconstitution de la jeunesse d'Arthur à Rome, des arrangements pseudo-jazz, aussi déplacés que peu inspirés.
Si on est sympa, on peut saluer la prise de risque, cependant le résultat est malheureusement décevant, et constitue l'un des défauts majeurs d'une saison, certes osée, mais pas toujours maîtrisée.
Aïe.


Bon, quoi d'autre ?
Une première vraie B.O., composée pour son premier film, David et Madame Hansen. À l'image du film, fragile et trop discret, la partition est en retrait, presque minimaliste, réduite à une formation légère de cordes qu'Astier dirige lui-même avec retenue.
Il ne peut pas s'empêcher d'y adjoindre deux ou trois titres dans le même esprit que les ratages du Livre VI de Kaamelott, entre la musique pour ascenseur et le jazz fusion baveux. De quoi grincer encore un peu plus des dents.
Re-aïe, donc.


On ajoute encore, vite fait, les deux ou trois bricoles écrites pour son spectacle L'exo-Conférence, une chouette ouverture électronique et un gros rock qui pulse, joué en live sur scène avec Astier à la basse. Sympa, mais...


Sauf qu'on sait le bonhomme fin connaisseur de musiques de films, grand admirateur de John Williams (on peut difficilement faire mieux dans le registre), ainsi qu'esthète classique dont la passion musicale est née très jeune d'une fréquentation assidue de Bach - voir son époustouflant spectacle consacré au maestro, Que ma joie demeure, où Astier faisait la démonstration sur scène de sa virtuosité d'interprète.



Travail d'orfèvre



Désolé pour cet exposé fort long, mais il fallait cela pour comprendre le plaisir et le soulagement que j'ai ressentis en écoutant, puis réécoutant, puis réréécoutant la B.O. de Kaamelott - Premier Volet.
Parce que nous avons là, mesdames et messieurs, une authentique belle musique de film épique, pleine de couleurs très différentes, développant une écriture musicale extrêmement riche et précise, qui exploite sans rougir les 85 pupitres de l'orchestre symphonique pour lequel elle a été pensée.


Deux harpes, des cuivres rutilants, des cordes soyeuses où les violoncelles ont la part belle, des percussions toujours à bon escient, des vents virevoltants, il y en a pour tous les goûts. Et même un peu plus, puisqu'on y ajoute un piano joué par Astier himself ("Arthur à la Tour"), tout comme une poignée d'instruments ethniques, et un titre sublimement sombre chanté par un chœur imposant ("Juste Judex").


Une partition où l'on retrouve la patte Astier, la bonne, entrevue dans les pastilles déjà composées pour la série, mais cette fois étendue, lâchée à plein régime au fil des 34 titres de la B.O. et de ses 55 minutes.
Cela donne des passages majestueux ou épiques ("Sept jours de marche", "Désenchevêtrement"), d'autres sautillants et réjouissants ("Marche Aquitaine", qui annonce un retour en grande forme du célèbre Duc incarné par Alain Chabat, ou l'incongru "Robobrole !"), d'autres encore inquiétants, mystérieux ("Furadja"), exaltants ("Sous la Bretagne") ou mélancoliques ("Arthur à la Tour").


Si l'on peut de temps en temps surprendre l'influence de John Williams - mais aussi celle, plus surprenante, de Joe Hisaishi ("Une clairière près de Gaunes"), bien que la référence soit involontaire à en croire Astier lui-même, qui n'a donc pas fait exprès d'aller s'inspirer des ambiances raffinées du compositeur japonais -, la musique du génie lyonnais ne ressemble finalement très vite qu'à elle-même, et donc à lui.
Et donne le sentiment d'une grande cohérence, d'une identité forte, dont on peut espérer qu'elle éclaboussera également les images du film et, surtout, son scénario.


Rassuré je suis, un peu honteux d'avoir douté des capacités musicales d'Alexandre Astier - qui s'avère donc très brillant dans ce domaine aussi, en plus de tous les autres où il n'y avait plus de doutes depuis longtemps.
Et impatient, bien sûr, encore plus impatient de pouvoir enfin retourner un jour dans une salle de cinéma, sans craindre d'y laisser un poumon, pour pouvoir découvrir enfin la suite sur grand écran de l'extraordinaire saga Kaamelott, sans doute l'une des entreprises narratives les plus ambitieuses jamais tentées en France.


En attendant, je vais user jusqu'à plus soif cette superbe petite galette - que je vous recommande d'écouter au casque, ou avec un excellent équipement, histoire d'en apprécier les plus minuscules raffinements et les innombrables richesses.

ElliottSyndrome
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le 27 nov. 2020

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