Difficile, en musique électronique, d'échapper aux mutations incessantes de la technologie. Surtout à partir des années 80, durant lesquels les changements vont s'accélérer, ouvrant la porte à une infinité de possibles.
L'un de ces grands changements est un clavier révolutionnaire qui s'appelle Fairlight. Ce synthétiseur échantillonneur, qui permet de jouer directement des sons enregistrés en prise réel, a été créé à la fin des années 70. Testé en premier par Peter Gabriel, il atterrit rapidement entre les mains du nouveau génie français de la lampe, qui s'en empare avec curiosité dans Chants magnétiques - avant d'en faire un usage systématique et gourmand dans le suivant, Zoolook.


Mais nous n'en sommes pas encore là. Pour l'instant, voici venir 1981 et ce troisième album qui marque une nette rupture de ton et de style avec les deux précédents. Plus rythmé, énergique, il perd en intemporalité ce qu'il gagne en puissance électronique.
Pour moi, Chants Magnétiques reste, encore aujourd'hui, un peu écrasé par son premier titre, composant à l'époque la face A à lui seul, du haut de ses 17'49 (record de longueur pour JMJ qui ne tombera qu'avec le très particulier "En attendant Cousteau"). Jamais joué sur scène en entier, à ma connaissance du moins, ce morceau vertigineux, inventif, audacieux, est la quintessence de cet album. Divisé en trois parties, il s'ouvre sur une séquence rapide, sur laquelle se posent des nappes majestueuses et une myriade d'effets sonores ; cette partie a, pour le coup, eu régulièrement les honneurs des concerts de Jarre. Vient ensuite une deuxième partie, sorte de transition sans mélodie nette, où une avalanche d'effets dévoile les capacités du Fairlight, jusqu'à cette traversée d'avion de chasse en panoramique qui introduit la troisième et dernière partie, la plus belle pour moi, qui entrelace des séquences joliment ouvragées, des contrepoints puissants et un solo distordu du plus bel effet, pour s'achever dans un fade out sur quelques notes mélancoliques de saxo électronique.


Pfiouh ! Après un morceau de bravoure pareil, difficile de se connecter à la suite de l'album. Le célèbre deuxième mouvement, encore un tube de JMJ - qui se déploie à merveille en concert, notamment grâce au solo final composé par Dominique Perrier -, fait pourtant le job à son tempo d'enfer.
Ensuite, c'est un peu plus flou. Des bruits de trains, de rails, raccrochent l'album à sa thématique (pas traitée de manière si évidente dans le disque, du reste), à savoir l'impact technique des hommes sur le monde. La troisième partie, avec son étrange rythmique percussive à sept temps, offre des sonorités agréables, voire intrigantes, mais ne dépasse guère le statut de titre de transition.
La quatrième partie reprend le principe des mouvements 1 et 2, avec une séquence de basse bien marquée, en croches régulières, soutenue par une boîte à rythme discrète mais omniprésente, et une petite mélodie déposée en douceur dessus, moins accrocheuse cependant. Elle s'achève par une nouvelle bouffée d'effets sonores, encore un passage de train...
Puis débarque (déjà) le cinquième mouvement, sous-titré "La Dernière Rumba". Et pour cause, c'est bien d'une rumba dont il s'agit, avec un son de lead jouant le cliché caribéen sans complexe. C'est frais, mais assez déplacé dans cet album aux sonorités plutôt percutantes, indigne d'en constituer la conclusion à mon goût. A moins qu'il ne s'agisse d'un pied de nez volontaire du compositeur... ce qui ne changerait rien à mon opinion.


Chants Magnétiques est donc un album qui s'ouvre magnifiquement mais s'achève beaucoup moins bien, perdant de l'inventivité et de la puissance au fil de ses cinq titres. Il n'en reste pas moins une œuvre forte de Jean-Michel Jarre, qui ose l'expérimentation et reste brillamment connecté aux évolutions de son environnement technologique. Avant de mettre un grand coup dans la fourmilière électronique trois ans plus tard, au rythme des samples magiques de Zoolook...

ElliottSyndrome
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le 14 févr. 2020

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ElliottSyndrome

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