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Une atmosphère lancinante, un peu surréaliste, la BO mélancolique de Philip Glass : dès la bande-annonce, Tales of the Loop assume une marque assez unique.


Pour une fois, le matériau de base n’est pas un roman ou un comic, mais un livre d’illustrations, celui du suédois Simon Stålenhag, qui dépeint un univers à la fois "steampunk" (mais contemporain) et rural. Mettant en scène des humains solitaires perdus au sein de grands espaces, ces images peuvent évoquer les tableaux de Edward Hopper. Les machines, robots ou autres architectures kitsch typées 80’s qui peuplent ces illustrations tendent à renforcer l'impression de vide et de mélancolie qui s'en dégage.


Le contexte et la direction artistique de la série reprennent donc directement les images de Stålenhag : dans un univers parallèle, on découvre une petite ville de l’Ohio se situant au-dessus d’une sorte de distorsion magnétique, la Loop, ayant permis aux scientifiques et ingénieurs y habitant de créer des machines plus ou moins bizarres en tous genres, dont beaucoup se sont perdues dans la nature. Chaque épisode montre un fragment de ce monde à travers le point de vue d’un personnage dont le destin sera lié, d’une façon ou d’une autre, à cette Loop.


La fidélité aux illustrations ne s’arrête pas au cadre : la série en reprend aussi toute l’atmosphère nostalgique. Robots, voyages dans le temps, sphères aux pouvoirs surnaturels : tout en renvoyant à des thèmes classiques de la science-fiction, les artefacts présentés dans chaque épisode se révèlent être avant tout des prétextes à analyser les personnages, leurs solitudes et leurs failles. La BO de Philip Glass et Paul-Leonard Morgan vient magnifier le tout, formant là une jolie bulle de mélancolie.


Les amateurs d’action et de science-fiction cartésienne auront du mal à trouver leur compte en regardant cette série : le rythme des épisodes est très (parfois trop ?) lent, en particulier lors de leur première moitié qui expose les personnages et les enjeux. Elle ne s’attache par ailleurs que très peu à l’aspect rationnel des éléments qu’elle distille et pourrait presque s’assimiler à de la fantasy, cette tendance étant portée à son paroxysme dans l’épisode 8.


Bien qu’il contribue à donner à la série une touche impressionniste, le parti pris d’en faire une anthologie peut s’avérer frustrant : en se concentrant sur un personnage par épisode, la série a tendance à oublier ceux que l’on a suivi auparavant, qui réapparaissent en arrière-plan alors qu’on aurait parfois aimé approfondir davantage leur cas. Alors que certaines de ces histoires sont vertigineuses dans leurs postulats (l’épisode 2 surtout), en les assumant de façon radicale, d’autres (vers le milieu) peuvent sembler plus insignifiantes : il s’agit pour les personnages d’apprendre une leçon de vie déterminante mais au final assez simple, comme chacun pourrait le faire au quotidien. La moitié du temps, il n’y aurait même pas vraiment besoin des artefacts technologiques qui nous sont présentés pour que les récits fonctionnent.


Plus frustrante encore est la tendance de la série à se montrer inconséquente, que ce soit au niveau des intrigues, personnages ou encore des éléments qu’elle met en place. Assumer de ne pas donner d’explication scientifique est une chose, négliger de donner corps à son univers et à sa symbolique en est une autre.


Par exemple, la fameuse Éclipse, qui apparaît au début de la série, est par la suite totalement oubliée, comme s’il s’agissait d’un élément un peu anecdotique et placé là pour faire joli.


Le dernier épisode, pourtant, tente bien de relier le tout et de boucler la boucle. Mais il le fait de façon forcée, avec une volonté trop marquée de raccorder à tout prix certains fils aux dépens d’autres. La conclusion de certaines intrigues se révèle frustrante et expédiée, préférant cacher sous le tapis des éléments conflictuels mais pourtant significatifs, pour privilégier une reprise quasi à l'identique de la résolution de précédents épisodes.


Épisode 1, où Loretta promet d'"être toujours là pour son fils" (ce qu'elle ne fait ni pour l'un ni pour l'autre au final) et épisode 4, où l'on voyait Cole accepter la mort de son grand-père et qui montrait déjà un flash-forward montrant que la vie continuerait et passait "en un battement de cils".


L'intrigue de l'épisode 2, en revanche, est réduite à un simple mélo empreint de pardon (sans qu'il n'y ait rien de pardonnable pourtant), là où elle avait un potentiel bien plus intrigant et existentiel.


Lorsqu’on prend le soin d’y revenir, on se rend compte que l’enchaînement des événement de cet épisode est d’ailleurs complètement incohérent.


Le petit Cole décide donc d’aller chercher sa mère Loretta en ville, comme en écho à ce qu'elle faisait elle-même dans le premier épisode. Mais cela n'a aucun sens, car la ville où elle se trouve semble être à un jour de marche, et elle serait de toute façon probablement revenue avant qu’il n'arrive à destination. Ce n'est qu'une incohérence parmi d'autres dans cet enchaînement. Au final, tout ce cirque n'aura résulté qu'à tuer son frère, donc exactement l'inverse de ce qu'il voulait faire, de façon tout de même très vaine, artificielle et un peu stupide.


Ce final se rachète en faisant preuve d’une généreuse intensité émotionnelle. Un dialogue vient expliciter les intentions des auteurs : « C’était triste. » « Mais beau, aussi ? ».


Paradoxalement, c’est là aussi une faiblesse. Certes, la tristesse, c’est très beau, parfois. C'est même pour moi une évidence qui n'aurait pas eu besoin d'être rappelée. Mais à trop forcer cet aspect, et en choisissant de laisser certaines plaies béantes, on a l’impression que la série se complait dans une forme de pathos, aux dépens du sens qu’elle souhaite initialement vouloir donner à cette histoire. À moins qu'il ne s'agisse d'une simplicité mal assumée qui se cache derrière une tendance à anônner des aphorismes qui font leur petit effet, mais dont la profondeur est factice.


Par conséquent, là où le but de cette résolution semble être de provoquer un effet cathartique, avec l’idée que le temps efface les blessures, elle pourra au contraire laisser un goût amer, alors qu’à cause de son caractère artificiel, la douceur qu’elle tente d’instiller peut, elle, sembler fausse.


Reste une atmosphère et univers uniques en leur genre, et un sentiment de mélancolie intense qui peut infuser longtemps. Bien que fort, celui-ci peut paraître un peu vain, au risque de muter en une grise résignation. Si les choses tristes sont si belles, n'est-ce pas aussi parce qu'on parvient à leur donner du sens ?

Moonrise
7
Écrit par

Créée

le 14 nov. 2021

Critique lue 70 fois

Moonrise

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