Rabbit Hole
6.3
Rabbit Hole

Série Paramount+ (2023)

Voir la série

Le concept de la série Rabbit Hole semble des plus éculés : il s’agit de tromper et de contourner systématiquement les attentes du spectateur en usant d’une intrigue remplie de leurres et de points de vue biaisés. Dans cette histoire de complots et de jeux de pouvoirs, les protagonistes, qu’il s’agisse du héros, John Weir, de son père Ben ou même du mystérieux antagoniste Crowley, ont toujours un wagon d’avance (voire tout un train) sur le spectateur. Le scénario déroule rapidement sa mécanique (les apparences sont systématiquement trompeuses) et on s’attend donc toujours à ce que les scénaristes essaient de nous berner ou qu’un rebondissement quelconque vienne orienter l’intrigue dans une direction inattendue.

Au-delà de l’écueil répétitif de cette mécanique (et de la lassitude qui peut en découler chez le spectateur), et si l’on encaisse sans broncher tous les twists abracadabrantesques que nous réserve cette intrigue de seulement huit épisodes, l’intérêt de Rabbit Hole se situe surtout dans l’exercice d’équilibrisme que se sont ici imposés les scénaristes. A savoir que, plus encore que de tromper les attentes du spectateur, il s’agit surtout d’établir une relation de force dans la manipulation entre chacun des protagonistes, alliés de John comme ennemis.

Le maître-mot est ici tout simplement : maître du jeu.

(Risque de spoil dans les lignes qui suivent)

Alors même que John Weir (Kiefer Sutherland) nous est présenté dès le début comme un habile manipulateur, orchestrant avec génie de parfaites opérations de haut vol et régnant sur un monde de faux semblants où lui-même, en tant que parfait paranoïaque, n’accorde sa confiance à personne, les événements du premier épisode ont tôt fait d’en faire la victime d’une machination à plus grande échelle, orchestrée par un antagoniste s’avérant de toute évidence plus habile que lui. Un complot qui, au-delà d’impliquer les plus hautes sphères du pouvoir et la manipulation des réseaux numériques, fait bientôt entrer en jeu le père de Weir, Ben (Charles Dance), que ce dernier croyait pourtant mort depuis ses dix ans.

Toutefois, et c’est là où le scénario de Rabbit Hole se distingue de la traditionnelle intrigue du héros/victime subissant les événements, la fin du premier épisode nous révèle contre toute attente que John a su anticiper la menace pesant sur lui et s’est réservé une « garantie » qui pourrait à elle-seule rééquilibrer la partie. Ne lui reste plus qu’à déjouer les ruses de son mystérieux adversaire.

Plus qu’une simple resucée des intrigues complotistes de 24 ou Designated survivor (dont Kiefer Sutherland semble s’être fait une spécialité), Rabbit Hole tire en fait son inspiration d’une série comme Mr. Robot, en cela qu’elle aligne les intrigues de données piratées, les personnages biaisés et autres faux-semblants, dans le contexte d’une société moderne terne et déshumanisée, croulant sous le contrôle d’instances invisibles et avides de pouvoir.

La série est aussi quelque peu tributaire des œuvres complotistes et paranoïaques de Brian De Palma (Blow Out, Mission Impossible, Snake Eyes) et en propose une intéressante mise à jour à l’heure d’internet, des réseaux sociaux et de l’information orientée des médias, fake news et données de masse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’exposition du premier épisode de la série reprend celle du Mission impossible réalisé par l’auteur de L’Impasse. Héros montant un coup avec son équipe de trompe-la-mort, élimination de cette même équipe par une taupe, trahison du héros qui se retrouve livré à lui-même et désigné à tort comme coupable face à un adversaire qui ne montre pas son visage, l’essentiel du premier épisode semble décalquer à quelques variantes près le postulat du premier Mission impossible. Et ce, jusqu’à une première fin d’épisode qui révèle le « joker » du héros et inverse les perspectives.

A partir de là, la série déroulera un bel exemple d’intrigue à tiroirs, régulièrement rehaussée de twists et de coups de théâtre, et où personne ne semblera pouvoir faire confiance à personne. Le personnage de John Weir lui-même prend souvent les devants et sa capacité quasi-surnaturelle à anticiper les pièges tendus par son adversaire (la suspension d’incrédulité du spectateur est ici souvent mise à rude épreuve), si elle sert souvent à contourner les prévisions du spectateur, révélera in fine, et contre toute attente, que lui seul reste le maître du jeu (voir ce twist final monumental).

Bien sûr, l’intrigue enchevêtrée de cette première saison n’échappe pas aux raccourcis et aux facilités narratives (voir par exemple comment Hailey accepte un peu trop facilement d’aider John), au manichéisme simpliste (Crowley est un méchant bêtement avide de pouvoir et méprise ouvertement le peuple), ni même aux circonvolutions un peu foireuses rendant le tout confus et parfois difficile à suivre. Qui plus est, Rabbit Hole fait partie de ces fâcheuses séries dont le héros semble ne jamais vraiment être en danger : comme pour un Dexter Morgan, les événements glissent sur John Weir et les scénaristes ne le mettent jamais vraiment en péril, à peine en difficulté. Des difficultés qu’il aura d’ailleurs tôt fait de surmonter.

Ceci dit, le sujet de fond de Rabbit Hole (la manipulation des données et le contrôle des masses), s’il n’a évidemment rien de nouveau dans le panorama des fictions modernes, reste brulant d’actualité. En reprenant à son compte les marottes de séries telles que Mr. Robot ou Black Mirror, Rabbit Hole dresse la critique post-orwellienne d’une société à l’heure de la surcommunication et du contrôle des masses par le biais des réseaux, où l’individu ciblé par toutes les données qu’il y laisse à l’aveugle (et parce qu’on ne lui laisse pas non plus le choix) se mue sans s’en douter en consommateur privé de libre-arbitre, achetant/votant/choisissant ce dont il croit avoir besoin mais qui lui a en fait été suggéré, soit ouvertement, par des réclames ou des médias orientés, soit plus subtilement, à partir du profil qu’il a laissé sur les réseaux au travers de ses données.

La « mode » de la thèse complotiste est donc de rigueur dans ces huit épisodes qui usent et abusent de ficelles et de codes, sinon originaux, au moins agréablement réexploités. Le tout mis en valeur par les qualités d’interprétations de ses comédiens. Si Kiefer Sutherland est parfaitement convaincant dans un rôle à mi-chemin de ceux qu’il tenait dans ses deux précédentes séries, la méconnue Meta Golding (Hunger Games : L’Embrasement) s’y révèle particulièrement attachante et l’immense Charles Dance se montre, comme toujours, impérial dans son rôle de patriarche rusé et revanchard. On retrouvera aussi avec plaisir deux autres vieux briscards bien connus des cinéphiles dans des rôles, ma foi, assez stéréotypés, de vilains conspirateurs. Mention spéciale à l’interprétation du méconnu Walt Klink qui incarne ici Kyle, le « stagiaire », un jeune tueur redoutable et psychotique, troublant d’ambigüité.

L’humour, très présent et particulièrement efficace (voir les nombreux sarcasmes de Ben et la naïveté d’Edward Homm) contrebalance à merveille la noirceur parfois dépressive de l’intrigue (certains meurtres commis par le « stagiaire » sont particulièrement dérangeants) et la réalisation soignée, tout comme l’originalité du score, finit par conférer une atmosphère singulière à l’ensemble.

De quoi apprécier globalement cette première saison et espérer, pourquoi pas, une seconde saison tout aussi ambitieuse, que l’on souhaitera juste un poil plus maîtrisée.

Buddy_Noone
7
Écrit par

Créée

le 29 mai 2023

Critique lue 308 fois

3 j'aime

Buddy_Noone

Écrit par

Critique lue 308 fois

3

D'autres avis sur Rabbit Hole

Rabbit Hole
dark_vador
8

Big brother is watching you !

Une très bonne série d'espionnage, captivante et intriguante !Un duo Kiefer Sutherthand (24h chrono) et Charles Dances (G.O.T.) qui tient bien la route.Des surprises et rebondissements à chaque...

le 8 mai 2023

1 j'aime

4

Rabbit Hole
capitaine89
6

Critique de Rabbit Hole par capitaine89

bjr .. la première demie heure , je me suis dit mais horrible cette agence ... j'arrête mais je suis resté .. finalement ca part un peu dans tous ces sens ... un rebondissement a chaque épisode .....

le 22 mai 2023

Rabbit Hole
Professeur-Rico
8

Paranoïa permanente

Certes c'est une série de scénariste petit malin où Kiefer, incarnant un personnage plus cérébral et hypercalculateur que vraiment physique, repart affronter à un rythme effréné une conspiration...

le 19 mai 2023

Du même critique

Les Fils de l'homme
Buddy_Noone
9

La balade de Théo

Novembre 2027. L'humanité agonise, aucune naissance n'a eu lieu depuis 18 ans. Pas l'ombre d'un seul enfant dans le monde. Tandis que le cadet de l'humanité vient d'être assassiné et que le monde...

le 18 juil. 2014

92 j'aime

6

Jurassic World
Buddy_Noone
4

Ingen-Yutani

En 1993, sortait avec le succès que l'on sait le premier opus de la franchise Jurassic Park. En combinant les différentes techniques de SFX et en poussant à leur paroxysme des images de synthèse...

le 16 juin 2015

84 j'aime

32