Plus belle la vie
2.2
Plus belle la vie

Série France 3 (2004)

L’excellente revue Society, quinzomadaire sociétal et culturel, propose de temps en temps de gros dossiers sur des œuvres cultes, qui ne sont composés que d’entretiens de personnes ayant travaillé sur celles-ci, sans aucun commentaire journalistique mais agencés de manière à regrouper les interventions par thématiques.


C’est fabuleusement intéressant, riche en anecdotes sur les coulisses ou de commentaires parfois émus ou cinglants, permettant de mieux appréhender l’oeuvre en question par ceux qui l’ont fait.


Récemment la série H a eu droit à ce traitement, mais aussi le film La Cité de la peur, et dans le numéro 187 d’août 2022 c’est donc Plus belle la vie qui était à l’honneur, à l’époque où la série avait été fraîchement annulée. C’était avant de savoir qu’elle allait redémarrer sur TF1 en 2024 avec cet incroyable titre, Plus belle la vie, encore plus belle.


Sur 18 pages et avec 33 intervenants (!), ce dossier est une mine d’or d’informations, qu'on connaisse la série ou pas. Celle-ci a été violemment rabaissée sur Senscritique, décidément toujours aussi snob pour ce qui est trop populaire, mais son historique longévité et le succès qui est allé avec lui offrent sa place dans l’histoire de la télévision. 18 années d’existence entre 2004 et 2022, le plus grand décor jamais construit pour la télévision française, 4665 épisodes quotidiens et ce sans compter les épisodes ou téléfilms spéciaux, 4000 rôles distribués, la série est celle de tous les records.


Ces copieuses pages permettent ainsi de revenir sur les origines du projet, initialement baptisé « Mistral gagnant » avant qu’une boîte de com’ n’impose Plus belle la vie, les ratés des premiers épisodes, précédant le succès fou et ses dérives, le mépris violent qu’elle a reçu, mais aussi les limites du programme, son rythme à la chaîne et la légèreté de ses intrigues.


Dans ses heures fastes, les acteurs pouvaient être harcelés dans la rue, mais étaient méprisés par leurs pairs, ou peut-être plutôt jalousés. Une quotidienne c’est une rentrée d’argent sûre, même s’il fallait accepter un rythme de travail soutenu et savoir s’adapter aux soubresauts des scénarios.


La série a aussi été assez aussi une pionnière dans l’illustration de la tolérance ou par les thèmes d’actualité utilisés, le personnage de Laurent, gay mais sans aucune caricature, étant indissociable de la série et de sa réception.


Il faudrait donc peut-être effacer ce petit rictus un peu hautain devant la série, qui a su toucher une large part de la population dans ses plus grandes années et qui a eu une importance historique sur le paysage télévisuel.


Ce dossier sur Society est ainsi très instructif, mais aussi très lucide sur ses faiblesses ou ses dérives, en tout cas richement intéressant et parfois même assez poignant par des personnes qui ont vécu ces années ou une partie.


Il faudrait donc pouvoir lire ce numéro et ainsi accéder à ces pages afin de dissiper les quelques idées reçues sur la série et mieux la connaître, mais il est peu probable que tout le monde ait accès à ce numéro (demandez peut-être à votre bibliothèque?). J’avais commencé à compiler une liste de citations mais leur trop grand nombre dépassait la limite autorisée de caractères.


Petit aparté, car la lecture de la presse culturelle est ainsi un de mes grands plaisirs, navigant de revues du cinéma au jeu vidéo ou à la bande dessinée parfois dans des domaines de niche, dans l’actualité ou allant même jusqu’à acheter de vieilles revues pour me plonger dans d’autres époques.


Constatant la richesse des informations qu’elles détiennent, mais aussi des anecdotes et entretiens parfois surprenants disponibles, j’ai pris le parti depuis plusieurs années d’en extirper les meilleures citations et de les proposer sous forme de listes régulièrement enrichies sur Senscritique. Afin d’en faire partager au plus grand nombre ces petits trésors qui auraient pu rester confidentiels et limités aux seuls lecteurs.


Vous trouverez ainsi mes petits bébés en suivant les liens ci-dessous :

- sur le jeu vidéo

- sur le cinéma

- sur la bande-dessinée

- sur les séries

- sur la musique


Ne pouvant accepter que ces extraits du dossier de Society restent sur un coin de mon disque dur, je vous les propose donc sur cette critique qui n’en est pas vraiment une.


Je n’ai précédemment abordé que quelques thèmes, mais vous retrouverez ici des exemples précis, des anecdotes et des commentaires sur cette série mythique du paysage télévisuel français, que l’on en soit admirateur ou détracteur.


Merci donc à Society, à ses journalistes en charge de recueillir ces précieuses paroles, Maxime Brigand et Victor Le Grand, et bien sûr à toutes les personnes qui ont bien voulu faire un retour en arrière sur leurs années de Plus belle la vie.




Hubert Besson, producteur :

« Quand on est dans une telle production, il faut produire autant qu’on diffuse. On n’a pas le droit de ne pas produire pendant une semaine, donc d’entrée, il faut s’assurer de pouvoir tenir ce volume. Un volume colossal : 260 épisodes par an environ. Forcément, c’est très intense et en France, c’est la première fois que les équipes vivent dans un flux tendu permanent. »


Rebecca Zlotowski, scénariste :

«  J’ai fait la Fémis et Plus belle la vie, c’était un plan qu’on se refilait entre anciens. C’est un endroit accueillant et rémunérateur, symbolique, sans enjeu narcissique. Pendant longtemps, ça a été la seule writers room de France, avec un fonctionnement très industriel, une espèce de taylorisme de l’écriture. » 


Cécile Mingalon, responsable d’études qualitatives :

«  La série a réussi deux coups majeurs. Le premier, c’est le quartier, car ça a réveillé le fantasme du cocon, de l’échelon de proximité idéalisée. Le second a été de mettre de l’affect dans l’actualité. Le feuilleton a débloqué des visions, des discussions, et c’est hypermalin, car les gens ont pu basculer du JT à Plus belle la vie sans ressentir un total décrochage, en conservant une prise forte avec l’esprit du temps. »


Laurent Kérusoré, comédien, Thomas dans la série :

«  Lors des dix premières années, j'ai reçu beaucoup de courriers. Une grand-mère m'a écrit parce son petit-fils, homosexuel, avait été renié par son fils, et c'était devenu la guerre entre les deux. Un jour, son fils est venu chez elle alors qu'elle regardait Plus belle la ville. Il lui a dit " Enlève-moi cette merde. " Elle a refusé. Puis, il revenait, bizarrement, toujours au moment de Plus belle la vie, et un jour, il s'est marré devant une scène que je jouais. Il a fini par avouer qu'il aimait bien mon personnage, sa fraîcheur, son humour... Derrière, son fils et son petit-fils se sont parlé de nouveau et le père a concédé à son fils : " Si tu es comme Thomas, ça ne me pose pas de problème. " »

«  L'autre exemple qui m'a marqué, est cette lettre, cette fois très violente, de 18 pages, écrit par un ancien homophobe. Il m'expliquait que Thomas était son personnage préféré, que c'était devenu en quelque sorte son curé devant qui il se confessait. Il me racontait dans la lettre que dans les années 1980-1990, il allait à la sortie des boîtes pour " casser la gueule des PD. " Aujourd'hui, il n'utilise plus le mot " PD ". Tout ça montre bien à quel point mon personnage a aidé à changer l'image de l'homosexuel en France. »

«  Une autre fois, on a aidé un monsieur dont l’événement organisé pour une maladie infantile s'essoufflait un peu. Mais il y avait tellement de monde pour venir nous voir qu'ils ont dû annuler l’événement. C'était terrible. On a été raccompagnés par des motards à l'aéroport. On pleurait, on était choqués, ce fanatisme nous paraissait tellement démesuré ! »

«  A un moment, le chef de la gare Saint-Charles avait même fait une grosse pancarte où il était écrit «  Le Bar du Monstral n’existe pas, merci ! » Chaque jour, il y avait des centaines de personnes qui lui posaient la question. »


Jonas Ben Ahmed, comédien :

«  Quand je débarque en mars 2018, c’est la première fois qu’un comédien transgenre apparaît dans une série française. Évidemment, la couverture médiatique a été énorme. […] Depuis, je pense que l’incarnation dans la fiction est la meilleure des pédagogies. »


Sébastien Charbit, producteur :

«  Pour faire simple, tout ce qu’on peut taxer de woke maintenant a été fait dans Plus belle la vie. Peut-être parfois par opportunisme, je ne sais pas, mais cela a été fait. J’ai souvent lu qu’on était une série de gauchos. »

" Au moment des gilets jaunes, je pense qu'il y a eu une prise de conscience du pouvoir politique qu'il ne parlait pas assez à une tranche de la population. Dès lors, on a eu des échanges autour de Plus belle la vie avec des gens qui s'occupaient de la communication du gouvernement. Ils nous ont demandés : " Vous parlez à une France à qui on ne parle pas, comment vous faites ? Parce que nous, on ne les comprend pas. " »

«  A Paris, dans les dîners, on me parlait lentement. Vu que j’étais producteur de Plus belle la vie, il y avait forcément des choses que je ne pouvais pas comprendre… » 

« Franchement, on prendrait des stars de cinéma, on leur donnerait 35 minutes pour faire une séquence de 90 secondes en seulement deux prises et un seul axe de caméra, je ne sais pas s’ils feraient mieux. Je ne dis pas que les comédiens sont des génies, mais la série a tout de même permis d’en faire émerger certains. Un jour, j’ai compté : il y a eu quasiment 4000 rôles dans Plus belle la vie. C’est gigantesque. »


Michelle Podroznik, productrice :

«  A un moment donné, je rêvais de faire un baptême républicain. Ça se fait à la mairie et peu de gens savent que ça existe, donc on en fait un dans la série. Deux jours après la diffusion de l'épisode, j'ai reçu un coup de fil de l'adjoint à la culture de la mairie de Marseille qui, avec son accent, m'a dit : " Madame Podroznik, qu'est-ce que vous avez été encore me faire ? J'ai reçu 150 demandes de baptême républicain dans la semaine. Vous croyez que je n'ai pas assez de travail comme ça ? " »


Michel Blaise, décorateur :

«  C’est simple : on a construit en quelques mois le plus gros décor de la télévision française depuis 40 ans ! »


Pierre Martot, comédien :

«  Au Virgin de Marseille [pour un événement avec l'équipe], le magasin doit même être fermé parce que des gens s'évanouissent. »

«  Une fois, j'ai croisé une femme affolée. Mon personnage était en pleine enquête et elle m'a répété : " Non, ce n'est pas lui le coupable, c'est l'autre qui a mis du poison dans le verre ! " Elle voulait vraiment que je fasse quelque chose. »


Stéphane Henon, comédien :

«  Un jour, alors que je dormais dans un train, un type m'a réveillé pour me dire : " Jean-Paul [son rôle] ! Jean-Paul ! Je t'adore ! " Parfois, il n'y a plus de filtre. »


Dounia Coesens, comédienne :

«  Au début, les lettres qu’on recevait n’étaient pas dépouillées, mais il y a eu des problèmes. J’ai par exemple reçu des poils pubiens, et un tri a ensuite été fait, heureusement. »


Bénédicte Achard, scénariste :

«  Les premiers mois, avec Magaly [Richard-Serrano], on a rejoint un syndicat d'auteurs où tous les membres arrivaient en Jaguar, fumaient des cigares... Nous, on débarquait avec une 104 toute pourrie qui fermait mal. Ils nous méprisaient, mais en réalité, ils étaient jaloux parce qu'ils sentaient bien que financièrement, bosser sur une quotidienne, c'est un petit braquage. »


Alexandre Fabre, acteur :

«  [Q]uand je suis parti travailler sur le programme, des copains du milieu m'ont dit : " Pourquoi tu vas faire cette connerie ? Pourquoi tu vas te compromettre ? " Quelques mois plus tard, les mêmes m'ont dit : "Alexandre, tu pourrais me brancher sur le plan ? »


Nicolas Viegolat, réalisateur :

«  Après, je peux vous assurer que sur Plus belle, il n'y a pas des branleurs comme dans la pub. Les mecs et les nanas sont des panzers. Cette série a formé des techniciens de haut vol qui bossent en temps record et dans n'importe quelles conditions. »


Christophe Reichert, réalisateur :

«  C'est un produit très formaté, on nous a dit de rester dans les regards, de ne filmer les gens que de face et non de dos ou de trois-quarts. Tout simplement, car c'est quelque chose qui doit aussi être vu qu'entendu. On regarde un épisode en cuisinant, en mangeant ou en faisant la vaisselle. Il n'y a pas de place pour les silences ou la musique. C'est du dialogue, non-stop. »


Jean-Luc Chauvin, président de la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille-Provence :

«  Quand j’évoque Marseille ailleurs en France ou à l’étranger, on parle souvent de trois choses : l’OM, la Bonne Mère et Plus belle la vie. Ça a été un cadeau pour la ville, ça a renforcé son attractivité, mais ça a donné une image de la vraie vie des gens. On parle d’un poumon économique énorme pour notre territoire : 600 emplois, une chaîne de gens sédentarisés, un budget de 27 millions d’euros par an, 85 000 euros par épisode, tout ça pour faire de Marseille la deuxième plus grosse ville de tournage de France.




Source : " Plus belle était la vie " par Maxime Brigant et Victor Le Grand, Society n°187, 18 au 31 août 2022



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le 9 mars 2024

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