
La Culture est belle car tentaculaire. Elle nous permet de rebondir d’oeuvre en oeuvre. Il y a des liens partout. On peut découvrir un cinéaste en partant d’autre chose qu’un film. Je ne connaissais que de (bonne) réputation Bertrand Blier. La première prise de contact avec son œuvre fut pendant un concert de Cabadzi, reprenant la verve des paroles du cinéaste dans un spectacle assez surprenant. L’album s’appelle Cabadzi x Blier.
Moins intimidé par ce grand nom, j’ai pu plonger le bout des orteils dans le grand bain de Blier en commençant par Calmos. Ce n’est pas l’un de ses plus connus, et c’est aussi l’un de ses plus polémiques, ce qui est pourtant la norme de la plupart de ses films. Et ce fut une belle claque, qui m’a convaincu non seulement des talents de Bertrand Blier, mais que je pouvais être surpris par le cinéma francophone que j’ai parfois trop tendance à écarter.
Paul et Albert sont deux hommes qui en ont marre des femmes, et des leurs en particulier. Ils prennent la poudre d’escampette pour un village où ils décident de profiter de la vie, en tout simplicité et dans la bonne chère, dans le pain et le vin. Ils coulent des jours heureux, et font des envieux, bientôt rejoints par d’autres nouveaux célibataires. Mais les femmes s’organisent pour rappeler à ces bons messieurs qu’ils ont des obligations à remplir.
Le film a été taxé de misogyne. Bertrand Blier le désapprouvera. Il fut tourné en réaction au mouvement féministe de l’époque. Un réalisateur qui partirait dans la même direction à cette époque post-mee too serait lynché. L’époque est différente, et Bertrand Blier est un créatif atypique. Car cette réaction qui l’inspire n’est pas si réactionnaire qu’on veut bien le voir.
Calmos ne manque pas de surprises, mais c’est le retournement qui arrive au milieu qui offre une saveur particulière au film. En s’organisant entre elles pour contrôler les hommes, les femmes ne font rien de plus que reprendre les schémas de domination masculins. Elles s’élèvent au rang de soldats mais veillent aussi à la reproduction. Une scène l’illustre bien, c’est dans le métro, quand les rôles sont inversés et que les hommes subissent les dragues lourdes et vulgaires.
Est-ce que Bertrand Blier voulait faire de ce film un manifeste contre l’émancipation féminine ? Certainement pas. Il cherchait probablement plus à interroger sur les rôles de chacun. Il a confessé avoir eu des difficultés dans l’élaboration de son film. Et il est tout autant servi que desservi par ses deux personnages masculins, joués par Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort. Ce sont deux représentants très forts des acteurs mâles de cette époque, qui correspondent aux standards virils de l’époque, et que la situation fait apparaître comme des victimes. Le film aurait gagné en subtilité en atténuant ce côté.
Le film est une incitation à questionner la place de la femme, mais aussi à celle de prendre du temps pour soi, de s’extraire des carcans. Il peine à le faire avec une plus grande sympathie pour la cause des femmes. Mais ce qu’il propose est aussi captivant. Il utilise un humour bon-vivant qui réchauffe. Mais surtout il emmène le spectateur dans une aventure pleine de surprises, qui donne des coudes au politiquement correct et se permet des envolées satiriques et surréalistes qui laissent le souffle coupé. Dans un film de Bertrand Blier, il y a du texte et du sens, avec un sens de la provocation qui ose ce qu’il veut. Il me fallait bien Calmos pour le comprendre.