Le Décalogue
7.9
Le Décalogue

Série TVP1 (1988)

Voici une bonne dizaine de jours que je passe tous les débuts de mes soirées sur cette série polonaise de dix téléfilms de Kieslowski datant de 1987 à 1990. J'en avais vu quelques-uns seulement, il y a pas mal d'années à la télé (française) ; j'en avais conservé un souvenir mitigé, limite, indifférent. De l'intérêt du DVD qui permet de passer, repasser, revenir tandis que le visionnage one shot laisse sur sa faim … De l'intérêt de voir aussi cette œuvre dans son ensemble qui me parait finalement assez cohérente.

Avant d'entrer dans le détail, disons tout de suite quelques petites généralités.

Première généralité. Mon épouse, qui est croyante, était plutôt "reluctante" à les voir. Puis, elle s'est piquée au jeu alors que j'étais en train d'en visionner un. Même si, globalement, elle n'était souvent pas convaincue ni d'accord avec l'approche adoptée par Kieslowski ; ou plutôt, devrais-je dire, par la télé polonaise d'avant la chute du communisme (donc probablement légèrement corsetée et dirigiste^^). C'était un point intéressant d'échanger sur cette approche du décalogue, qui est quand même aux fondements de plusieurs religions et de toute civilisation.

Deuxième généralité. Ce sont des films, visiblement, à petit budget, plutôt bien joués et bien montés. Les films sont tournés dans des quartiers périphériques de Varsovie dans des zones de grands ensembles respirant la pauvreté ou a minima respirant l'inconfort avec un froid persistant et une grisaille permanente. La plupart des scènes sont tournées en hiver accentuant cette dureté de la vie. Les gens tirent des gueules pas possibles. Pas souriants, les polonais en 1988 …

Troisième généralité. Kieslowski n'aborde pas les aspects politiques du pays. Sinon, en creux, on voit bien que le toubib, le chirurgien, le prof de fac, … habitent, comme tout le monde, dans un immeuble HLM plus ou moins lépreux. C'est une vision, peut-être voulue, politiquement correcte, d'un égalitarisme de façade, je ne sais pas. Elle est, pour l'occidental que je suis, une source d'étonnement. Kieslowski n'aborde jamais directement les problèmes de la religion. Cela apparait parfois dans la mise en opposition de divers comportements mais cela reste presque secondaire. Le Décalogue est vu à travers la vie de tous les jours, de façon essentiellement matérialiste.

Quatrième généralité : c'est la (les) tentative (s) de réponse à la question que je me suis constamment posée pendant les visionnages et re visionnages. Quelle est l'intention de Kieslowski (ou du scénariste ou du producteur c'est-à-dire la télé polonaise) ? Où veut-il en venir ? J'ai l'impression que le propos pourrait être (c'est dire si je suis sûr de moi !!) que les dix commandements qui correspondent à des ordres adressés à l'individu (tu ne feras pas, ne tueras pas, tu devras, tu ne devras pas, etc ) ne sont que difficilement ou pas applicables. En tous cas, pas dans une société constituée de gens qui vivent ensemble avec les nombreuses interactions, implications auxquelles ils sont soumis. Inévitablement, l'application stricte et aveugle d'un commandement peut ou va s'avérer néfaste pour autrui. Bon et puis disons le franchement, après moult discussions avec mon épouse, nous sommes à peu près convenus qu'il est possible que ce soit la vision athée de ce que peuvent recouvrir ces commandements. Notons l'imprécision de ma formulation …

Cinquième généralité : il y a un personnage muet dans pratiquement chacun des films joué par le même acteur, Artur Barcis (d'aspect assez lunaire) qui croise inévitablement un des protagonistes au moment de la transgression. Le protagoniste ne le voit pas, n'en n'a pas conscience. Et d'ailleurs le personnage reste généralement muet et ne fait pratiquement aucun geste. Est-ce la Conscience Individuelle, le Mauvais Sort, … Je ne pense (je n'ose pas penser) quand même pas que Kieslowski ait placé là un dieu cruel, jouissant de voir l'homme ou la femme se planter ou comptant les points …

Sans vouloir examiner un à un les dix téléfilms, je vais essayer d'illustrer un peu tout ça.

Si je prends D1 c'est-à-dire "un seul dieu tu adoreras", on observe le père d'un jeune enfant, athée et profondément convaincu par le seul pouvoir de l'informatique ou du raisonnement. La tante du jeune enfant est, elle, très croyante et inscrit le gamin au catéchisme.

Le gamin, sur la foi des calculs de son père, va se noyer dans un lac gelé où la glace se rompt. Ni la foi dans la science de l'un, ni la foi en Dieu de l'autre, ne permettent de sauver l'enfant.

Un des plus intéressants films est le D8 "tu ne mentiras pas". Pendant la guerre, une femme (professeur d'éthique !) refuse de cacher une jeune fille juive dans Varsovie au motif qu'elle ne doit pas mentir. La jeune fille parvient à fuir et à gagner les USA. Le film démarre au moment où la jeune fille maintenant adulte revient et retrouve la professeure. Cette dernière lui avoue n'avoir pas su passer sur l'injonction du commandement de l'Église même si elle se sentait moralement coupable, même si elle s'en est beaucoup voulue de n'avoir pas menti.

D'évidence, le D5 "tu ne tueras pas" souligne l'ambiguïté entre le commandement individuel et son non-respect par la société. Un homme tue atrocement un chauffeur de taxi et est condamné à mort par la société tout entière …

Le D2 "Tu ne commettras pas de parjure" est un de ceux que je préfère : là, s'il n'y avait pas eu parjure, il y aurait eu un avortement pour rien et au final un couple malheureux …

Il y a des téléfilms perturbants comme le D9 "tu ne convoiteras pas la femme d'autrui" qui traite de la relation dans un couple soumis à un adultère même si le sujet retenu par Kieslowski me parait un peu tiré par les cheveux …

Le D3 "tu respecteras le jour du seigneur" est celui qui m'a au final le plus amusé car il m'aura fallu le revoir et en discuter avec ma femme pour le comprendre. À défaut de parler du shabbat (surtout en Pologne …) ou du dimanche pour les cathos, Kieslowski choisit le jour de Noël qui est finalement le jour "sacré" qui fait consensus pour tout le monde (la fameuse trêve de Noël ...). S'il fallait en trouver une preuve, ce choix du jour de Noël montre clairement l'athéisme global et assumé de la série.

Le D10 "tu ne convoiteras pas les biens d'autrui" se démarque un peu des autres téléfilms d'abord parce que le "témoin muet" (Artur Barcis) y est absent. Puis il décrirait plutôt un commandement à ma façon du style "si tu voles, tu seras volé".

Et puis, il y aussi ceux que j'apprécie moins comme le D4 "tu honoreras ton père et ta mère" parce qu'il me parait moins pertinent dans l'exemple qui est pris et le traitement qui en est fait. Notons que, pour une fois, dans ce téléfilm, on voit de la pelouse verte et des maisons individuelles dont je m'étais fait à l'idée que ça n'existait pas en Pologne en 1988.

Parlons un instant du casting. Il s'agit bien sûr d'acteurs polonais que je ne connais pas du tout, pratiquement jamais les mêmes d'un film à l'autre (hors le fameux Artur Barcis). Je les ai globalement trouvés très bons. L'amusant est que j'avais toujours l'impression de voir la même actrice. Force m'a été d'avoir à reconnaître qu'il n'en était rien …

Au final, j'ai quand même trouvé ces téléfilms fort intéressants. C'est une formidable réflexion sur ces commandements, au-delà de toute considération religieuse ou pas, qui sont des lois, des consignes ou des règles de bonne conduite en société.

La question à laquelle Kieslowski cherche peut-être à répondre est "pourquoi, diable, ne les respecte-t-on pas plus souvent ?". Je dois avouer que l'approche de Kieslowski m'a globalement bien plu.

JeanG55
8
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le 21 janv. 2024

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