Le Décalogue
7.9
Le Décalogue

Série TVP1 (1988)

Un tour de force ["Le Décalogue", chapitre par chapitre]

Chapitre 1 :
Le premier épisode du (premier) monument de Kieslowski est aussi l'un des tous meilleurs, qui réussit le grand écart périlleux entre son sujet théorique à l'extrême (Dieu et la raison, incarnée littéralement ici par les mathématiques et l'informatique, peuvent-ils coexister?) et l'habituelle délicatesse (d'entomologiste, dirons les détracteurs du maître) de son traitement des sentiments les plus extrêmes (ici, la douleur de la perte d'un enfant). A la fois brillamment intelligent et dévastateur émotionnellement, une véritable perle au format télévision (55 minutes et tout est dit). [Critique écrite en 2004]


Chapitre 2 :
Moins brillant que le premier épisode du "Décalogue", ce second film est peut-être plus subtil et profond, parce que l’ambiguïté de sa conclusion à un problème moral insoluble laisse entrevoir (peut-être ?) que le bien - ou tout au moins un certain bonheur - peut naître du mensonge (du parjure plutôt, pour reprendre le thème biblique de départ). Ce (léger) optimisme, teinté d'un réalisme objectif que l'on peut qualifier de fataliste, est suffisamment rare dans l'oeuvre de Kieslowski pour que l'on s'en réjouisse, mais c'est surtout la liberté que confère finalement le réalisateur / scénariste à ses personnages et sa fiction par rapport au cadre strict des préceptes bibliques qui enchante. Ajoutons que ce deuxième épisode regorge de ces moments de pure contemplation sensuelle (d'objets, de plantes, de gouttes d'eau qui tombent, d'un insecte qui s'échappe d'un verre de sirop...) qui transcendent le naturalisme sombre de la peinture sociale. [Critique écrite en 2005]


Chapitre 3 :
Ce troisième épisode du "Décalogue" tranche sur les autres, et sur le travail habituel de Kieslowski, dans la mesure où le spectateur y est manipulé jusqu'à la fin par Ewa, au même titre que Janusz, la victime. Si ce genre de scénario "surprise" a aujourd'hui la faveur du cinéma de divertissement hollywoodien, il déçoit forcément chez l'un des cinéastes les plus moraux qui soient. Cette manipulation cache de plus un secret si petit que l'on a l'impression désagréable d'avoir été baladé "pour rien", même s'il se pourrait bien que cela soit là le message du "Décalogue 3", que nos jeux d'amour et de trahison sont bien dérisoires... [Critique écrite en 2005]


Chapitre 4 :
Moins formaliste que les deux films précédents, moins cruel que le premier film de la série, ce "Décalogue 4" est le premier chef d'oeuvre absolu du monument que constitue la décalogie (?) de Kieslowski. Sur un scénario stupéfiant de simplicité et de pertinence, Kieslowski affronte la question de l'inceste d'une manière aussi figurative que frontale : pas besoin de consommation physique quand on doit affronter les déclarations d'amour successives auxquelles se livrent tour à tour le père et sa fille durant ces 55 minutes fulgurantes ! [Critique écrite en 2005]


Chapitre 5 :
Le plus célèbre film de la série "le Décalogue", à cause du succès à Cannes de sa version cinéma, est également le plus radical, le plus dur. Si la laideur très fabriquée de l'image (préfigurant finalement les dérives Hollywoodiennes à venir) n'a pas forcément bien vieilli, tout le reste est toujours aussi impressionnant de puissance et d'intelligence. Sans manichéisme mais également sans ambiguïté, Kieslowski transforme ce qui - dans les mains de réalisateurs moins talentueux - aurait été un terrible constat d'inhumanité, en un réquisitoire pour l'être humain, pitoyable certes, mais bouleversant dans ses faiblesses. [Critique écrite en 2005]


Chapitre 6 :
Version courte de "Brève Histoire d'Amour", le sixième film de la série du Décalogue commence comme un film de Brian De Palma (sensualité et voyeurisme, qui contrôle qui, etc..) pour rapidement quitter les pistes balisées de la culpabilité puritaine et aller avec une innocence déconcertante vers une grande histoire d'amour manqué. A partir donc d'un rituel assez convenu désormais, Kieslowski nous plonge dans une incertitude excitante et nous laisse finalement suspendus, comme la jeune femme vers laquelle l'identification du spectateur s'est progressivement déplacée, au bord d'une immense et incompréhensible déception amoureuse. Très fort, même si l'on peut se sentir vaguement manipulés par ce tour de force. [Critique écrite en 2005]


Chapitre 7 :
Moins complexe du point de vue narration, et moins recherché formellement que la plupart des autres films de la série, "Tu ne Voleras Point" se révèle particulièrement tourmenté et douloureux, la révolte que le spectateur ressent devant la situation que vit la jeune mère privée de son enfant par sa propre mère étant rapidement submergée par l'affliction générée par l'incapacité criante des personnages de sortir des rôles que la vie leur a attribuée : la conclusion, logique et implacable, est l'une des plus cruelles qui soit. [Critique écrite en 2005]


Chapitre 8 :
Le huitième film du "Décalogue" est le plus faible, en tous cas le seul où le "système" inventé par Kieslowski échoue à générer du sens face à la terrible vérité de l'Histoire : est-ce parce que le thème dépasse les habituels problèmes de relations humaines des autres films (mais c'était aussi le cas du premier film...), et se frotte à l'abomination de l'Holocauste et à la culpabilité des Polonais ? En tout cas, Kieslowski paraît presque paralysé, et ne livre qu'un constat d'impuissance face à une équation morale insoluble. Cette suspension de la maîtrise est sans doute la seule voie éthique, mais elle n'en est pas moins décevante. [Critique écrite en 2006]


Chapitre 9 :
Le neuvième film de la série du "Décalogue" s'avère peut-être l'un des plus perturbants, par la franchise même avec laquelle Kieslowski aborde la sexualité du couple, et se frotte aux clichés de l'impuissance, de l'adultère, et de la dilution de l'amour : on peut croire un moment que le film ne survivra pas à l'accumulation de scènes "codifiées" autour du triangle amoureux, et puis, d'un seul coup, il décolle avec cette prodigieuse et asphyxiante capacité d'élévation dont Kieslowski est capable. Il aura suffi d'un plan - pour moi, celui de l'épouse infidèle s'apercevant que son mari était dans le placard (!!) - pour que le meilleur du cinéma survienne. Une fois encore. [Critique écrite en 2006]


Chapitre 10 :
Le dixième et dernier film du "Décalogue" est sans doute le plus "fictionnant" de tous, car Kieslowski y inscrit en son centre - d'une manière quasi négligente, en tout cas très élégante - la figure du thriller : nos deux "héros" sont victimes d'une machination mi-absurde, mi-brillante, qui ne sera d'ailleurs pas totalement révélée (on n'est pas à Hollywood, ne l'oublions pas). Ce retour final à un cinéma plus "populaire", ou tout au moins à un cinéma moins introspectif, est peut-être d'ailleurs la limite du film, plus bluffant, mais moins touchant que la plupart des autres. [Critique écrite en 2006]

EricDebarnot
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le 25 août 2015

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Eric BBYoda

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