Les deux monstres

Avis sur Laëtitia

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Deux des faits divers les plus spectaculaires des années 2010 ont défrayé la chronique à quelques mois d'écart. Juste avant que Xavier Dupont de Ligonès ne massacre l'intégralité de sa famille et disparaisse de la plus mystérieuse et frustrante des manières (je ne saurais que vous recommander la lecture des deux numéros de Society consacrés à la question), il y eut d'abord Laetitia, jeune fille de 18 ans, dont la découverte du corps démembré indigna la France entière.
L'évènement, ses suites et ses implications, furent si abjects qu'Ivan Jablonka en fit un court roman percutant dont Jean-Xavier de Lestrade a tiré cette mini-série.

Le traitement est sobre et efficace, la distribution dans l'ensemble excellente, et la reconstitution stupéfiante de réalisme (tout juste certains flashbacks s'étirent un peu trop à mon goût).

Evidemment plus complexe qu'un simple concours de circonstances tragiques, l'histoire de Laetitia se révèle comme un catalyseur tragique de l'époque qui s'ouvrait, et dont nous sommes encore pleinement les contemporains.
En passe de se sortir d'un parcours de vie chaotique et effrayant, Laetitia connut le tragique destin de rencontrer deux monstres, l'un la poussant à jeter dans les bras de l'autre.

Le premier, médiatique et facile à haïr immédiatement, fut celui qui tua et découpa la jeune fille au terme d'une journée fatale, pendant laquelle Laetitia prit une série de risques qui ne lui ressemblaient pas.
C'est cet ignoble individu, multirécidiviste, qui permit au président de la république de l'époque de taper sur un système judiciaire exsangue pour en dénoncer le laxisme (alors même qu'il s'était fait élire sur la promesse du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite), ce qui jeta la magistrature dans la rue pendant de longues semaines en signe de protestation, phénomène absolument inédit à l'époque.
C'est ce tueur délirant, lui aussi sujet d'un parcours de vie sidérant (glaçante performance de l'actrice jouant la mère de Tony Meihon qui raconte l'enfance de son fils) qui permit aux journalistes de relancer le débat de la peine de mort pour les tueurs de jeunes filles, et au père adoptif, hurlant avec les loups, de réclamer une justice expéditive et la création de fichiers de délinquants sexuels, pour qui toute liberté devait être proscrite.
La France populiste, qui n'aime rien de plus que les situations simples à la morale binaire, put alors se gorger de solutions en forme de propositions à l'emporte-pièce, ravissant ceux qui fantasment un monde où chaque problème possède une solution simple, si possible violente, expéditive et définitive.

Le deuxième monstre intéressa beaucoup moins une partie du public. Avec lui en effet, on entrait dans les zones troubles de la psychologie humaine, on devait alors admettre que les braves gens pouvaient aussi être les bourreaux. Avec qui le respectable devenait haïssable.
Car le brave père de la famille d'accueil dans laquelle Laetitia et Jessica, sa jumelle, furent hébergées pendant plusieurs années fut condamné, quelques mois après le fait divers spectaculaire, à huit ans de prison pour agressions sexuelles sur mineures. Jessica, la soeur, en fut une des victimes (nous ne saurons sans doute jamais si Laetitia elle-même ne fut pas concernée).
C'est ce brave type qui se servit de la mort de sa fille adoptive afficher sa douleur incommensurable, taper sur le laxisme de la justice, et réclamer le retour de la peine maximale pour les criminels, dont il faisait pourtant partie avec un facteur aggravant: il bénéficiait de la confiance du système, et l'autorité morale sur le long terme sur une partie de ses victimes.
Un tuteur protecteur, surtout (agissant en toute impunité sous le regard embrumé de stupidité et de bien-pensante de sa femme) dont Laetitia découvrit la conduite vis-à-vis de sa soeur, ce qui la poussa à faire n'importe quoi dans les deux ou trois jours qui précédèrent son ignoble assassinat, en se jetant, aveuglée par la douleur, dans la gueule du loup.

Un parcours de jeunes filles stupéfiant, digne des fictions les plus misérabilistes (je me demande comment Jessica a pu construire une vie après tant de heurts et de chocs, dont celui de la perte de sa jumelle, phénomène en soi suffisamment traumatisant, mais qui a en plus fait la une de la presse nationale pendant des mois) dont presque chaque étape a dû souffrir de la violence répétée et constante des homme: un père biologique qui ruina leurs dix premières années d'existence, avant que le père adoptif ne prenne le relais pour les huit suivantes et que le tueur ne finisse le travail.

Personne ne peut devant cette suite accablante invoquer une série malheureuse de hasards.
Ce qui nous pousse à nous demander comment certains, dix ans après, peuvent encore ne pas comprendre les revendications d'une partie de la société qui ne souhaite rien d'autre que de moins souffrir de la domination violente masculine, qu'elle subit depuis toujours.

S'il ne s'agit évidemment pas de considérer que la moitié de l'humanité est à mettre dans le même sac (une généralité qui serait de nature aussi stupide que parfaitement raciste dans sa logique), nier, railler ou balayer d'un revers de manche le problème récurrent de la violence faite aux femmes serait une faute toute aussi lourde.

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(sinon, pour plus de détails sur la série elle-même, lire cette excellente critique)

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