Game of Thrones
8.2
Game of Thrones

Série HBO (2011)

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  1. Alors que les fans de fantasy font encore le deuil de la trilogie du Seigneur des anneaux, HBO lance sa nouvelle série mastodonte, adaptée de la saga de romans inachevée, A Song of Ice and Fire de George R. R. Martin. Les fans de l'écrivain se jettent alors sur cette adaptation, rapidement suivis par des légions de nouveaux spectateurs découvrant les intrigues de Westeros.
    Pourtant l'argument promotionnel est au départ assez pauvre et GoT semble bien parti pour n'être qu'une série de niche comme tant d'autres. Son cocktail de sexe et de violence (au moins une mort sanglante et une scène chaude par épisode) semble dupliquer la formule gagnante de Rome et de True Blood, appliquée à la fantasy. On nous promet pourtant une série médiévale, ambitieuse et hors norme, dont les moyens démesurés (70 millions alloués à chaque saison) permettent la construction de décors gigantesques, une direction artistique somptueuse (voir les décors de Port-Réal, du Donjon Rouge et de la cité de Meereen), un nombre impressionnant de figurants et des séquences tournées dans plusieurs pays (le Grand Mur érigé à Belfast, des extérieurs au Maroc, à Malte et en Ecosse). L'essentiel de la distribution recycle un package de seconds couteaux (Sean Bean, Lena Headey, Charles Dance, Mark Addy, Iain Glenn), d'anciennes gloires du showbiz (Jerome Flynn) et révèle même d'étonnants inconnus (Peter Dinklage, Emilia Clarke, Jason Momoa, Nicolaj Coster-Waldau). Quant à la réalisation, elle convoque autant de téléastes confirmés (Thimothy Van Patten, David Petrarca) que de réalisateurs de long-métrages (Neil Marshall, Alan Taylor). La musique elle, est composée par Ramin Djawadi, lequel nous gratifie au passage d'un thème musical entêtant qui accompagne un générique original, déroulant la traditionnelle carte du monde d'Essos et de Westeros.


Attention, je compte spoiler sans vergogne...


A l'image de la fantasy politique et de la low fantasy dont se réclame l'oeuvre de Martin, très loin de la high fantasy (Le Seigneur des anneaux) et du sword and sorcery (Conan), Game of Thrones est une série à l'histoire complexe, qui entrecroise la destinée d'une multitude de personnages et privilégie les intrigues de cours (complots, trahisons, assassinats et autres joyeusetés) aux franches épopées guerrières. Ses nombreux protagonistes, aux caractères tous plus ambigus les uns que les autres, nourrissent un univers fascinant, où de grandes maisons de nobles s'affrontent pour le contrôle d'un royaume au bord du chaos. Tout d'abord à prédominance réaliste (la première saison où seules trois séquences revêtent un aspect fantastique), l'intrigue révèle progressivement une mythologie fantastique où se côtoient nombre d'archétypes de l'heroic-fantasy (dragons, sorciers, peuplades sauvages et mort-vivants), sans jamais empiéter sur l'importance du jeu politique au centre du récit (qui donne d'ailleurs son titre à la série).


Aussi riche en personnages que surprenante dans leur traitement, Game of Thrones doit surtout sa réputation (et son succès) à ses coups de théâtres d'anthologies, souvent sanglants et parfaitement amenés. D'une cruauté inouïe, la série compte ainsi un nombre importants de retournements de situations mémorables, dont la plupart tirent leur force d'un bouleversement des repères moraux du spectateur. Ici point de manichéisme facile et de victoire des "gentils" sur les "méchants", Game of Thrones tire toute sa force de l'anti-manichéisme de son intrigue qui explore tout autant les trajectoires de vils personnages (les Lannister) que de ceux a priori plus positifs et valeureux (les enfants Stark). Il suffira pourtant de voir le nombre d'exécutions à l'épée perpétrés par les "héros" au nom de leur code d'honneur et de leur morale pour se rendre compte que nous ne sommes pas chez Tolkien. La notion d'héroïsme représentée au début par Ned Stark puis par Robb et Jon est ici déconstruite pour révéler les failles humaines de protagonistes plus complexes. Il n'y a ainsi pas un seul personnage référent dans Game of Thrones mais plusieurs auxquels le spectateur s'attache, et aucun d'eux n'est irréprochable. Il y a Jon Snow, le bâtard se découvrant héritier légitime du royaume, Tyrion, (Peter Dinklage, grande révélation du show), l'héritier lubrique et mal-aimé, compensant son handicap par son éloquence et qui abandonnera frasque et luxure pour servir des causes plus nobles, Arya, fille cadette de lord Eddard, qui deviendra le bras-armé de la vengeance des Stark, et enfin Daenerys, la princesse rabaissée au rang de trophée diplomatique et qui s'affirmera comme la reine des Dothrakis et la mère des derniers dragons. Si l'on suit plus particulièrement les quêtes émotionnelles de ces quatre personnages, ce sont les intrigues qui secouent le royaume de Westeros qui tracent les lignes de la série et révèle d'autres trajectoires dramatiques. Ainsi de Jaime Lannister (de loin un des personnages à la trajectoire la plus intéressante), qui passera d'un chevalier cruel, hautain et sûr de lui à une gloire déchue et infirme, faisant le dur apprentissage de l'humilité. Ainsi de Sandor Clegane, mercenaire taciturne, uniquement intéressé par l'argent et la vengeance et qui se rachètera en poussant Arya à choisir une autre voie que la sienne. Il y a aussi Petyr "Littlefinger" Baelish, le conseiller politique, fourbe et manipulateur, qui n'aura de cesse de se venger d'un amour perdu, et Jorah Mormont, trafiquant d'esclaves et chevalier dévoyé, amoureux fou d'une princesse dont il sera souvent le meilleur allié et qu'il n'abandonnera jamais. Et que dire de Brienne de Torth, guerrière dévouée à la maison Stark qui tombera amoureuse de son plus illustre prisonnier, ou Sansa, qui de jeune fille innocente vendue aux pires scélérats, deviendra par la force des choses une redoutable chef politique. Même le personnage de Tywinn Lannister (Charles Dance, impérial), a priori simple archétype de grand salaud en chef, révélera des failles humaines lors de ses passionnants dialogues avec Arya et ses joutes verbales avec son fils mal-aimé.


Le choix de Sean Bean dans le rôle de Ned Stark reste quant à lui, une des meilleures idées pour ouvrir la série. Bien sûr le fait de réemployer une figure connue du Seigneur des anneaux n'avait alors rien d'innocent, les producteurs préparant ainsi le premier grand coup de théâtre de la série, que seuls les lecteurs de Martin pouvaient alors voir venir. Personnage intègre, charismatique et rassurant, Ned Stark semblait être le héros tout désigné de la série, celui par qui justice pouvait être rendue. Il sera finalement et contre toute attente supprimé au terme de la première saison dans une scène d'anthologie qui lance alors véritablement les hostilités. Dès lors, GoT décolle, tant médiatiquement que narrativement, la mort d'Eddard Stark faisant office de catalyseur a bon nombre de trajectoires du récit. Et nombre de personnages d'entamer un périple au bout duquel certains reviendront métamorphosés (Arya, Sansa, Jon, Tyrion, Jaime) quand d'autres périront, souvent de manière inattendue. Il suffira d'ailleurs de voir le sort réservé au flamboyant Oberyn Martell, archétype du prince vengeur et séducteur, dont la soif de vengeance et la trop grande assurance entraîneront la perte. Un trépas cruel et surprenant qui, à l'image de ceux d'Eddard et de Robb Stark, entérinera longtemps l'idée que Game of Thrones est LA série où gagnent les "méchants".


En ce sens, toutes les intrigues de Game of Thrones s'articulent autour des notions de vengeance et de rédemption et poussent ses protagonistes les plus emblématiques à se racheter (Tyrion, Jaime, Jorah) ou bien à prendre une revanche sur ceux qui les ont dépouillés d'un être cher (Oberyn Martell), d'une vie (Sandor Clegane), d'une famille (Arya Stark) ou d'un trône (Daenerys). Bon nombre d'entre eux se heurteront alors aux conséquences de leurs actes via la malignité d'un script qui jouera avec leur destin en appliquant la dure loi du karma. Il suffit de voir l'ironie avec laquelle sont traités la trajectoire de bon nombre de ses protagonistes : Ned Stark commence le show en décapitant un homme, il finira de la même façon sur le caprice d'un petit tyran; Tywin Lannister a toujours intrigué pour détenir le pouvoir sans avoir à porter la couronne, il mourra sur un autre type de trône; Sandor sera rongé par la colère et la peur suite à une brûlure qui l'a atrocement défiguré, il trépassera dans les flammes; Roose Bolton poignardera au coeur son roi, il mourra de la même façon de la main de son fils; Ramsay Bolton donnera ses ennemis en pâture à ses molosses, il finira comme repas lui aussi; Lysa Arryn fera jeter ses ennemis dans le vide, elle y sera précipitée à son tour par l'homme qu'elle aime; Jaime Lannister commencera en tant que régicide, il mourra en essayant de sauver sa reine; Daenerys ne vivra que pour récupérer le trône qui lui revient, elle mourra à ses pieds sans même pouvoir s'y asseoir.


Souvent cruelles, les séquences mémorables s'enchaînent d'une saison à l'autre, collant plus ou moins aux chapitres littéraires dont elles s'inspirent. De l'exécution d'Eddard Stark à celle de Littlefinger en passant par l'empoisonnement de Joffrey, le combat d'Oberyn et de la Montagne et bien sûr le massacre des Noces pourpres, Game of Thrones compte un nombre incroyable de scènes cultes qui l'ont assurément propulsées au devant de toutes les séries rivales, en s'inspirant de l'imagination retorse de Martin. Jusqu'à un certain point, la série étant un rare cas d'adaptation dépassant la narration du matériau dont elle s'inspire. Les romans n'ayant jamais dépassé le récit de la captivité de Daenerys en terre dothraki et la mort (supposée) de Jon Snow, les showrunners D.B. Weiss et David Benioff se sont mis d'accord avec l'écrivain (également scénariste occasionnel et producteur de la série) pour terminer à leur façon la longue épopée du Trône de fer.
Ainsi dès la saison 6, le scénario emprunte des sentiers narratifs inconnus et plus ou moins bien imaginés. Pas assez bien pour les sempiternels détracteurs, ironiquement premiers fans de la série, qui ne feront alors que critiquer la direction empruntée par les scénaristes. Pas assez cruel, moins de surprise, trop d'incohérences, les habituels reproches attribués à ce type d'oeuvres à succès (voir le cas Star Wars 8), dont les fans ont toujours l'illusion qu'elles leur appartiennent, ne feront que pleuvoir jusqu'à aboutir au démolissage abusif de l'ultime saison. Obnubilés par les quelques raccourcis induits par le format du récit (le coup de folie soudain de Daenerys est le seul reproche que je ferai à l'ultime saison), les critiques passeront simplement à côté de toutes les bonnes idées (cadrages travaillés, décors monumentaux, plans iconiques, aboutissement logique des personnages), qui ont émaillé ce final. On critiquera la trop rapide métamorphose de Daenerys en tyran sanguinaire en taxant stupidement les auteurs de sexistes, on qualifiera le Cleganebowl tant attendu de pur fan service (sérieux, vous vous seriez passé d'un tel duel vous ?), on mettra à l'index les parti-pris esthétiques de la bataille de Winterfell (trop sombre, on aurait dû allumer plus de projecteurs, histoire de vérifier qu'ils tournaient bien en studio), tout ça avec la prétention de croire qu'une coalition de fans énervés auraient fait forcément mieux dans la direction d'une telle production (voir l'immense connerie de la pétition aux un million de signatures).


Que dire de plus, si ce n'est qu'à mon sens, la série se termine comme elle devait se terminer, avec le sacrifice logique de ses personnages les plus ambigus et le triomphe bienvenu de ses déshérités. On retrouvera ainsi autour de la table finale, tout le pouvoir de Westeros concentré entre les mains de personnages qui ont su pardonner et faire la paix avec leur passé. La conclusion est sobre, douce-amère et très loin de la noirceur, du bruit et de la fureur qui l'ont précédée. Les auteurs ont préféré miser sur le seul laïus d'un nain balafré (et le talent d'un grand acteur) pour s'adresser à leur public et leur expliquer qu'aucune fin n'aurait jamais pu tous les contenter. C'est aussi à cette reconnaissance-là que l'on peut mesurer la grandeur d'une oeuvre qui s'achève.

Buddy_Noone
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le 6 juin 2019

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