L'intérêt, c'est pas tellement la vitesse, c'est le nombre de figures qu'on va faire.
Les choses les plus élémentaires. S'oublient le plus vite.
"S'pas ma faute !" qu'il dirait, le Valmont des plages, enterré dans le sable à Knokke-le-Zout, avec ses deux louloutes en coquillage. Évidemment ; c'est une loi de la nature ...
Il a bien récité sa leçon, c'est bien. Il est content, le Valmorveux. Il aura droit à une glace le valeureux ! De toute façon, ici, c'est jamais la faute à personne, alors ...
Mais à la fin, c'est toujours moi qui mange mon chapeau. Ça s'oublie un peu vite ici, ça.
C'est que c'est élémentaire. D'ailleurs "tout le monde le sait ça !" qu'on dit. "C'est couru !" qu'on dit. Nan mais là : "rien de nouveau ! Vieux ! Éculé ! Rogné jusqu'à la trame ton truc !" qu'on m'dit.
Alors moi : OK. Je me tait. Plus un bruit ; plus un mot ; je reviens pas la dessus ... Je pousse les cailloux du bout du pied. Mains dans les poches. Soupir. Et quand je vois un nuage qui me rappelle mon ex. Je ris : la messe est dite.
Mais quand deux jours après je reviens et je demande ce qu'est le surréalisme, qu'est-ce qu'on vient pas me dire ? Hein ? Que c'est un "mouvement littéraire et artistique", et que NADJA, accroche-toi à ton slip gamin, bah que c'est un roman ... Un Ro-man ! Des claques se perdent à une vitesse, un truc incroyable que même Einstein il calcule pas. Hier encore j'en avais des cloques qui me poussaient d'avance ... Mais là, les bras m'en tombent ... quand on raconte encore que c'est : "fantaisiste" ...
Moi encore : ça passe, oui, un peu, fantaisiste, d'accord ok j'accepte. Encore que : suis pas surréaliste, moi. Mais Breton ! Fantaisiste ... lui ? Ah bah dis-donc ... ça la met là, hein ...
Alors moi, boh, en bon prof raté, en bon lecteur raté, en pauvre mec verbeux et qui se croit possédé du Ferdinand, bah sans prétention aucune. Je vais parler deux minutes du Breton. De sa NADJA. Du surréalisme. Deux minutes. Pas plus. Passé nuit blanche, moi. Je me suis maté du Mallick à 5h du mat ... Rend-toi compte. Déjà assez dur comme ça hein. Je vais pas m'en rajouter non plus.
Le surréalisme, c'est pas littéraire ! Pas pour deux sous ! Sa première revue, oui, ça s'appelle "Littérature", d'accord ! Mais c'est antinomique ! Cynique ... Bah rigolo quoi ! Ils sont contre la littérature ! Absolument ! Oui ! Veulent du vrai ! Du neuf ! Du révolté ! Du révoltant ! Du tout à fait fou ! Hors des gonds qu'ils veulent ! Mais bon ... Pas d'un coup non plus ... ils se cherchent encore, alors du coup ...ils y publient du Gide. Bon. Brave bête. Erreur de jeunesse.
Puis là dessus, un petit suisse se pointe. Désargenté. Tout penaud. Avec le Dadaïsme dans sa valise. 1918 ça. Un petit rescapé du Cabaret Volt. A Paris. Révélation ! Révélation sauf que : dada, c'est mort déjà ... Ça agonise, dada ... Ca sent le sapin. C'est la fin dadaricot comme dirait Porky. Et le Breton : il a du nez pour ça. L'a oublié d'êt' bête. Avec Élulu, et Soupaulait : voient bien que ça marche pas ... Mais pour distribuer de la claque aux littéreux ... toujours bon à prendre. Faut aller plus loin. Dès que ça pourra.
Plus détruire non : mais changer la vie. Comment pour quoi ? Prout je sais pas ... Libérer l'homme de ses habitudes peut-être ? De ses manières de voir ? De sa logique étriquée ? De sa demi-vue ? De ses grandes idées ? Sur la littérature et la culture ? Pour une vue totale ? Pour aussi la prise, en considération, irrespectueuse, évidemment, de nouveaux liens, entre les événements. Liens qu'il faut suivre ? Oui, si on on les a vus ! Pour ça : faut apprendre à voir.
Changer la vie : d'abord changer ce que l'on croit, ce que l'on voit d'elle.
Pour ça qu'ils s'intéressent à la psychanalyse, les loulous. Qu'un outil révélateur. Pas une fin en soi. Comme Einstein. Comme les Quantiques. tout ça qui écarquille les yeux. Eux ce qu'ils veulent : décortiquer le monde. Les gens. L'esprit. Montrer que la logique, la raison, les bonnes raisons, la morale, c'est aveugle. Pas de la vie. De la décadence. Des superstitions tout ça ! en deçà de ça, y autre chose, plus vivant. D'autres lois. Qu'il faut trouver.
Les œuvres, les soit-disant œuvres : ce sont des documents. Des compte-rendus de recherche. Leur atelier, c'est un atelier de recherche. La REVOLUTION SURREALISTE elle le dit, même qu'elle mime la revue NATURE, la plus solide. La plus scientifique de toutes. Et dedans ils mettent quoi ? Le meilleur crise-o-meter du monde : les faits-divers : recensent les suicides. Pourquoi on se tue ? Ils la posent la question. Pas de la littérature ça. Pas de l'art. Acte surréaliste. Comme tirer dans une foule. Au revolver. C'est Breton qui le dit. Georges Bataille : il a failli mourir ainsi. Surréaliste dis-je.
Breton, il est contre la littérature. Il le dit ; il le clame. Le souci de faire des phrases. Il est drôle ! C'est quoi que ce job un peu louf d'inventer des portes qui n'existent pas, et des Gaston et des René qui parleraient ensemble, et pire, feraient des choses, genre : jouer aux cartes, dans une pièce quelconque qu'on jouerait bêtassement à décrire. Dans ses moindres détails ... Son papier-peint jaunasse ... Faut les dégommer ceux qui font ça ... C'est pas humain ! C'est pire que de la névrose, puisqu'on les paye et qu'on les lit. Pire. Parfois, même qu'on les admire. Breton il aime pas la littérature. Encore moins quand on s'adonne à cet art un peu douteux pour gagner sa vie. La vérité au dessus de la vérité. Ne plus gagner sa vie : la vivre ! Voilà ce qu'il aurait pu dire. Et quand un de ses amis se met à faire de la littérature, à vouloir vendre son art pour gagner son pain, il le vire. Intransigeance.
Et donc, concrètement, quelle sirène va suivre notre bourgeois surréaliste, vu que pas besoin de travailler, pas besoin de jouer à l'animal rationnel ? Au toutou servile ? Simple comme bonjour : comme un bon gros bourgeois : il se promène. Surréalistiquement, s'entend. C'est à dire : en suivant l'impulsion de son caprice et en se laissant charmer par l'objectivité étonnante de la coïncidence, qui n'est hasard que pour ceux qui manquent de rigueur. Disons ... Scientifique.
C'est ça qu'est au cœur de NADJA. Pas de fantaisie. Pas de roman. Pas même de journal. Un compte-rendu, circonstancié, détaillé, rigoureux, sans fausse phrase, sans effet de manche, sans fioriture, de ses rencontres non voulues, des coïncidences qui l'ont lié à une jeune femme : NADJA. Chaque phrase dit exactement ce qu'elle veut dire : il s'agit là d'une expérience. Si le livre semble fou, bizarre, étrange, drôlement construit, c'est parce que les faits, la vie sont ainsi.
On n'y prête pas gare la plupart du temps, mais c'est ainsi. J'ai une amie qui vit dans ce genre d'environnement. Plusieurs de ses amis, qui ne se connaissent pas, lui parlent des mêmes choses, des choses d’hurluberlu, et, ce qu'elle dit, elle le retrouve quelques jours après dans des livres qu'on lui prête. Ces choses-là arrivent tout le temps. Oui. Mais si on se laisse glisser de coïncidence en coïncidence, où cela mène-t-il ? Qu'est-ce que ça nous révèle, nous dit, de nous, du monde, des autres ? C'est ça qu'ils veulent savoir. C'est ça qu'ils creusent. Ce que les événements peuvent signifier pour nous.
Pas littérature : ce sont les événements qui guident ici l'écriture, et les événements seuls. Pas de style. Pas d'intervention du sens esthétique, du goût. Ailleurs, c'est l'aléatoire : cadavres exquis. L'inconscient : écriture automatique. Qui a donné de très bons résultats : les contrepèteries de Rrose Sélavy. L'inconscient : le récit de rêve ...
Comment lire ces livres alors ? Pas comme des romans ! Comme des exemples. Des modèles. Des expériences faites qu'il faut adapter. non pas reproduire. Qu'il faut développer. Dont il faut s'inspirer. Remettre au goût du jour ... Lire les surréalistes, c'est lire, à un siècle d'intervalle, ce qui pourra peut-être donner sens à notre époque, à notre monde, à condition que l'on s'en saisisse, comme eux. Pas tout à fait comme eux. Mais à leur suite, à leur façon. Sans reproduire.
Le surréalisme n'est pas un ensemble d’œuvres. Ou alors, un ensemble d’œuvres vives, c'est-à-dire de manières de vivre, de voir, de sentir, de boire, de s'émerveiller, de traduire le monde, de le faire comprendre. A aucun moment, ce n'est de la littérature, un délassement. A lire NADJA de cette manière, pour sûr, on va s'emmerdouiller, pester contre l'absence de style, l'histoire dérisoire. Pour sûr, on va prendre Breton pour un prétentieux incapable et bien fat. Mais il a jamais prétendu faire du bel ouvrage. Seulement du vrai. C'est là dessus qu'il faut juger. Sur le pouvoir dissolvant, révélateur. Il faut le juger sur ce que l'on fait soi-même après lui. Sur rien d'autre.
Et moi, je m'en rend compte, j'ai encore parlé plus que voulu. Et tout décousu. Décidément : on se refait pas.
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