Prose poseuse

Alors qu'Anne Desbarèdes assiste à la leçon de piano de son fils, un cri retentit à la fenêtre : une femme vient de se faire tuer dans le bistrot d'à côté. Anne va y rencontrer un homme, Chardin, à qui elle demandera de l'aider à éclaircir ce crime passionnel : il semble que la femme ait demandé à son amant de commettre le geste fatal. De discussion en discussion, une attirance va se faire jour entre Chardin et Anne, le vin aidant.

1958, ce sont les débuts de ce qu'on a appelé le Nouveau Roman, incarné par Robbe-Grillet, Claude Simon, Nathalie Sarraute, Michel Butor entre autres. Phrases courtes, syntaxe pauvre, évacuation de toute psychologie. Et surtout, mystère. Qu'est-ce que cette pseudo histoire d'amour où l'on se sépare après s'être enfin touché les mains et avoir échangé un timide baiser ? Pourquoi, si ce n'est pour simplement sortir de la littérature traditionnelle ? Que signifie cet échange où Anne demande à Chardin de la tuer et que l'homme lui répond : "c'est fait" ? J'ai lu en postface un article louant la clarté absolue de tout ce qui est dit dans ce Moderato Cantabile. Etait-ce une blague ? Car le roman de Duras est abscons plus souvent qu'à son tour. Ouvrons au hasard. Page 37 :

Ils croisèrent des gens qui rentraient, des pliants à la main. Le vent frappait de front.

- Moi, qu'est-ce que tu vas m'acheter ?

- Un bateau rouge à moteur, tu veux bien ?

L'enfant soupesa cet avenir en silence, soupira d'aise.

- Oui, un gros bateau rouge à moteur. Comment t'as trouvé ?

Elle le prit par les épaules, le retint comme il essayait de se dégager pour courir en avant.

- Tu grandis, toi, ah, comme tu grandis, comme c'est bien.

Voilà. Sens de ce dialogue ? Mystère. Il y a quelque chose d'assez poseur dans cette attitude récurrente : un côté "si c'est mystérieux c'est que ça doit être très fort". Résultat, mon plaisir de lecteur s'en trouva fort amoindri.

Il faut pourtant saluer deux beaux passages.

D'abord les leçons de piano, avec cette Mme Giraud tyrannique qui reproche à sa mère le laisser aller de son éducation. La résistance passive de l'enfant est assez savoureuse. Bien aimé aussi la façon qu'a Duras d'entrecouper les dialogues de description de la ville au dehors : couleur du ciel, écho du ressac de la mer, bruits qui viennent de la rue.

Ensuite, la scène du repas bourgeois, refusé par Anne alors que, en montage alterné (la scène est très cinématographique), Chardin nous est montré errant en bord de mer. Image d'une fleur qu'Anna a entre les seins, effluves des magnolias, échos du dehors là aussi. Le refus de manger montré comme une transgression, alors qu'Anne est envahie par la sensualité.

Deux moments qui pèsent hélas trop peu au regard de l'ensemble. Voilà qui ne me réconciliera pas avec Duras. L'amante anglaise, vu au théâtre, superbe, avait relancé ma motivation. Je crains qu'elle ne soit retombée.