Terrifiante métaphore de la société américaine

Publié aux États-Unis le 3 juillet 1979 sous le pseudonyme de Richard Bachmann, Marche ou crève est pour la petite histoire le premier roman écrit et terminé par le King, près de 12 ans plus tôt, lorsqu'il était encore étudiant à l'université du Maine.

Roman dystopique d'anticipation, Marche ou crève prend place dans un futur proche. Les États-Unis y sont devenus un État totalitaire.

Comme chaque année, 100 adolescents volontaires sont sélectionnés pour participer à la Longue Marche. Mission : marcher sans s'arrêter à une vitesse minimale de 6,5 km/h. Les marcheurs sont continuellement surveillés par des soldats armés. Au bout de 4 infractions, chaque marcheur est fusillé. Passé 1 heure sans infraction, on se voit retirer son avertissement. Le dernier encore debout gagne et accède à la richesse éternelle.

L'événement est télévisé. Les marcheurs y sont également " soutenus " par de nombreux spectateurs massés sur le bord de la route. Le roman se centre du point de vue de Ray Garraty, marcheur venu de l'Etat du Maine, point de départ de la Longue Marche.

Marche ou crève se lit tout seul, sans longueurs. Malgré son ambiance " huit clos sur la route " et sa quête de prime abord absurde, on se laisse vite embarquer dans l'univers du roman. Bien que l'on ressente une certaine compassion pour les personnages pris dans cet engrenage morbide, on entre malgré nous dans un état d'esprit purement voyeuriste, presque bookmaker. A peu de choses prêtes, comme le public que les marcheurs croisent sur la route...

C'est d'ailleurs bien là l'une des forces du roman : nous faire prendre conscience de certains de nos instincts les plus sournois et les plus inavouables. Les marcheurs souffrent, les morts s'enchaînent, certains perdent la raison... pendant que l'on ressent de l'adrénaline face au suspense de qui l'emportera.

Il y a bien quelques micro moments d'espoir, laissant envisager une finalité différente, mais ils retombent aussi soudainement tant tout semble cadenassé et sous contrôle. Rien n'échappe à ce régime militaire totalitaire.

Aussi absurde soit-elle, la quête du roman met en lumière une réflexion plus profonde sur les dérives d'un régime totalitaire, où ni les lois ni les droits humains n'ont de réelle valeur pour les instances dirigeantes.

L'analyse de la Longue Marche peut aussi se définir comme une métaphore de la société américaine, où l'humain se tue au quotidien à un rythme éreintant et est piétiné au moindre signe de faiblesse. Comme dans la vraie vie, ce n'est pas les autres qui vous brisent mais le système dans sa globalité.

On peut également questionner le rapport de ces adolescents à la vie / à la mort. Plus qu'un besoin de dépasser leurs limites ou un infime espoir d'assurer un avenir radieux à leurs proches, c'est un désir de mort inconscient qui guide ces 100 adolescents. Au vu du contexte politique de l'époque où Stephen King écrivit ce roman, on devine un parallèle avec les jeunes soldats américains envoyés au front vietnamien et revenus au pays complètement brisés.

Roman mésestimé, Marche ou Crève se révèle en réalité très percutant dans ses axes de réflexion et la portée de son message. Dans un monde actuel de plus en plus dangereux, la dystopie des œuvres de fiction passées n'a jamais semblé aussi terrifiante...