Lolita
7.9
Lolita

livre de Vladimir Nabokov (1955)

Un livre sur l'égoïsme radical du désir pédophile

Récit magistralement construit et écrit par Nabokov. Le point de vue interne nous plonge dans la tête d' "Humbert Humbert", pédophile incapable d'éprouver de l'attirance envers une femme en âge d'être sexuellement active. Il masque son penchant pour les fillettes en prétextant l'existence d'une autre catégorie féminine : les "nymphettes".
Ce point de vue interne est bien entendu ce qui fait la richesse du livre : aucun jugement tierce qui viendrait d'une voix de narrateur externe. On est dans la tête de celui qui abuse régulièrement d'une fille surnommée Lolita, on est dans ses désirs, dans ses fantasmes, dans sa mauvaise foi, dans ses machinations perverses, dans ses accès de colère ou de rut, dans sa folie. C'est d'autant plus troublant qu'on peut avoir parfois l'impression de s'attacher à ce personnage, de souhaiter qu'il réussisse à s'en tirer. Et l'instant d'après, on se hait d'avoir pensé cela ...


Lolita montre l'emprise progressive d'un adulte sur une enfant, homme qui a de surcroit usurpé une position de père pour mieux utiliser sexuellement sa belle-fille. Destin d'un homme qui n'existe par et pour rien d'autre que son fétichisme sexuel des "nymphettes". D'abord obsédé, obnubilé par ce désir, il met en place tout un chantage affectif pour maintenir l'enfant dans ses griffes. On voit ce narrateur s'enfoncer dans une parodie de relation incestueuse à coups de marchandage criminel. Une paire de patin contre une étreinte, un film au cinéma contre un baiser, une sortie avec ses amis contre une pénétration, etc.


C'est seulement à la fin du livre que la lucidité - qui le mènera d'ailleurs à la folie, signe qu'il n'arrive pas à accepter sa culpabilité incestueuse et pédophile - surgit face à une Lolita grandie et mariée : Elle chercha ses mots. Je les suppléai mentalement ("Lui, il m'a brisé le cœur. Toi, tu as tout simplement brisé ma vie").
Cette ultime rencontre avec Lolita l'amène à se reconnaitre coupable et à se présenter enfin comme tel aux yeux du lecteur, qui n'avait jusque là droit qu'à des excuses de mauvaise foi. Il reconnaît enfin que Lolita porte dans son être la trace indélébile de cette sexualité qu'il lui a imposée, il reconnaît qu'il l'a privée de son enfance, d'une quelconque forme de vie de famille d'enfant, fût-elle imparfaite.


Le livre décrit aussi très bien le mécanisme de protection derrière lequel se mure la petite Lo. Si elle finit par se résigner à subir les viols en série, aucun échange verbal n'est en revanche possible entre elle et son bourreau. Elle se ferme en un mur de soupirs agacés, d'agressivité verbale, d'ennui marqué dès qu'Humbert tente d'initier le dialogue.


D'où cette prise de conscience tout aussi tardive chez lui de l'existence de Lola en tant qu'individu, en tant qu'être par-delà cet ensemble de chair qu'il désire si maladivement. On aperçoit alors tout l'égocentrisme de cet homme et également tout le mécanisme de déshumanisation qui est à l’œuvre dans le désir pédophile : Lolita n'a été pour lui qu'un petit corps imberbe, qu'une moue mise en valeur par la couleur carmin des lèvres, qu'une traînée de doux cheveux bruns.
Et c'est seulement a posteriori qu'il réalise son mal-être, interprétant ainsi rétrospectivement les attitudes de Lolita comme autant de signes de sa détresse psychique. Détresse qu'il refusait de voir parce que c'était une manière de se masquer le crime incestueux et pédophile dont il était coupable.


Nabokov boucle le roman d'une brillante manière. D'abord parce Humbert s'adressant à Lolita dans une longue liste de vœux pour son avenir, lui souhaite - enfin - une belle vie. Mais aussi et surtout parce qu'il exige que le récit qu'il vient d'écrire, récit de cette relation pédophile, ne soit publié qu'après la mort de Lolita. Cette attention demeure, ironiquement peut-être, le seul geste décent et altruiste qu'il ait jamais eu envers elle ...

JehanneMerlin
9
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le 30 janv. 2022

Critique lue 63 fois

2 j'aime

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