Oui, j'ai adoré les Seigneurs de Bohen. J'aurais presque honte de l'avouer après avoir lu certaines critiques ! Mais bon, assumons plutôt, je vais tenter d'expliquer pourquoi - toutefois, je vais commencer par quelques concessions à ceux qui n'ont pas aimé :



  • oui, OK, l'intrigue politique - le renversement d'un régime oppressif donc - passe au second plan. Voire, admettons le, on s'en fout. Mais justement, puisqu'on s'en fout, en ce qui me concerne j'en ai facilement fait le deuil pour m'intéresser à d'autres aspects.


    • OK, l'univers est très, trop peut-être, classique. Mais pas mal foutu pour autant, et quelque part, cet académisme fait ressortir tout l'anticonformisme qu'il y a par ailleurs.


    • OK, certes, l'éditeur a eu tort de présenter ce livre comme de la dark fantasy. Je suis d'accord que ça n'en est pas, c'est un roman d'amour et d'aventures, et une telle présentation va juste faire galérer le livre à trouver son public. Perso, je suis tombée dessus par le biais de l'auteure (qui a déjà écrit le génial Un éclat de givre), et je ne regrette pas Glen Cook. (je ne suis pas fan de lui, d'un autre côté, il faut l'admettre)


    • OK, c'est vrai, le fait que la totalité des romances soient LGBT+ n'est pas forcément un reflet fidèle de la réalité. D'un autre côté, les milliers de romans qui présentent exclusivement des amours hétéros ne reflètent pas non plus toute la réalité, et eux personne ne le leur reproche, alors bon.


    • Et enfin, OK, il peut y avoir certaines incohérences dans les comportements des personnages (se balader à visage découvert à proximité de la prison d'où l'on s'est échappé, ne pas cacher une liaison qui pourrait vous valoir la peine de mort, risquer sa vie pour pouvoir vivre son amour au grand jour alors que c'est déjà peu ou prou ce qu'on fait...)



Mais... Mais.


Mais je maintiens qu'Estelle Faye est une bonne écrivaine et une excellente conteuse. Le style est beau, les scènes régulièrement décrites sous un angle qui les rend vivantes, marquantes, touchantes, et les décors sont souvent saisissants visuellement. La scène de l'incendie au début par exemple, des tas d'auteurs décrivent des scènes d'incendie, mais là, on y est immergés bien plus qu'au cinéma.


Mais moi qui d'habitude ne suis pas forcément captivée par les romances de fiction, là l'une de celles dépeintes dans les Seigneurs de Bohen m'a touchée. Il faut dire qu'elle change pas mal de ce qu'on est habitué à lire !


Mais, si l'intrigue collective est inconsistante, les intrigues individuelles, elles, sont riches, intéressantes, et variées. J'aime particulièrement le dénouement côté Maeve de ce point de vue.


Mais j'ai beaucoup apprécié la compagnie de cet anti-héros qu'est Sainte-Etoile, qui ne sait tellement pas quoi faire de sa peau qu'il se crée des complications rocambolesques pour s'occuper, qui se sent tellement seul sous ses airs stoïques qu'il s'est inventé (probablement) le sorcier supposé squatter son esprit, rien que pour l'illusion d'avoir quelqu'un à qui parler. Par ailleurs, pour un homme qui se présentait au départ comme le soudard de service, il prend la déconstruction de virilité qui colle à son rôle avec une placidité exemplaire !


Mais les situations d'épopée classiques sont souvent twistées par des retournements qui pourraient faire apparaître le texte comme une parodie... sauf que non. Ça fonctionne, et ça passe même si bien que c'est la situation classique qui en devient caricaturale.


Genre le coup de la vierge livrée en pâture pour se faire bouffer par un monstre quelconque. Là les villageois décident carrément d'abandonner une religieuse et un escrimeur dans les marais pour que l'une serve d'appât et l'autre élimine le monstre. Sauf que vu qu'ils ont drogué le bretteur pour le mener sur place, il n'est pas en état de se battre. Quant à la bonne soeur, elle a été épouse, mère et veuve avant d'entrer dans les ordres, donc moyen pour l'appât ! Mais comme elle n'a pas non plus envie d'y passer la journée, hein, elle n'a pas que ça à faire, elle provoque délibérément l'apparition des monstres et pique l'épée du bretteur (oui, elle appartient à un ordre religieux mais guerrier, ça peut exister) pour s'en débarrasser, pendant que lui cherche benoîtement une façon de se rendre utile malgré sa gueule de bois... Et je ne vous surprendrai qu'à moitié en disant qu'après coup, ces deux là ne se sentent pas obligés de se marier. Innovant, je sais...


Ce qui m'amène au plus important. J'ai lu sur un blog la critique d'un internaute qui s'arrachait les cheveux parce qu'Estelle Faye ne respecte pas les codes du genre...


Mais non, bien sûr que non, Estelle Faye ne respecte pas les codes du genre, et encore moins les codes de genre, et à mon sens c'est justement cette irrévérence vis-à-vis des conventions qui rendent son roman jubilatoire. Les personnages se foutent totalement de la façon dont on attendrait qu'ils se comportent, que ce soit en tant qu'homme ou femme, en tant que princesse ou mercenaire, etc. C'est un vrai festival, tout est possible, tout peut arriver (notamment en amour) et ça, ça n'a rien de risible ou de dérisoire.
Le personnage qui renonce à son amour pour suivre sa vocation, ça peut être une femme. Celui qui doit se reconstruire après un viol, ça peut être un homme. Une mère de famille peut se faire religieuse, un moine peut tourner soudard. Celui qui a tout pour devenir le héros principal peut en fin de compte se révéler le seul à ne jouer aucun rôle actif dans cette fameuse révolution.


Et évidemment, le summum dans ce registre, c'est cet autre personnage, qui appartient à une frange de population dont la particularité reste tellement taboue dans nos sociétés ultra genrées que beaucoup de gens ignorent carrément son existence dans la réalité... Eh bien là il est juste le pivot central de l'intrigue héroïque et de l'intrigue romantique. Rien que pour le culot, j'applaudis.

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le 2 juin 2018

Critique lue 242 fois

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Emiliz

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