"Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l'esprit" disait des Fleurs du Mal le critique Gustave Bourdin, et, bien que véhémente, cette critique offre un élément de vérité.
Ce livre est effectivement le fruit d'années de réflexion sur l'ensemble de cette comédie humaine, de cette société laide et belle à la fois, dans laquelle a vécu Baudelaire et dont il aura voulu offrir une sorte de compte-rendu poétique. Mais en voulant à tout prix parler de l'humain jusque dans ses moindres tréfonds de corruption, il en déterre aussi des vices plus corrompus encore, et il ne faut alors pas s'étonner de voir, parmi la centaine de poèmes que compose le recueil, autant d'ode au sexe comme aux corps de femmes, ainsi que de vives critiques sur le puritanisme religieux.
D'une simple charogne en putréfaction jusqu'à une description du mode de vie des hiboux, des peintures de Delacroix jusqu'à la courbe des hanches de femmes dont il est tombé amoureux, le poète ne fait pas que rendre compte des choses et de la condition humaine, il sait autant rendre esthétique la laideur elle-même, que rendre grâce à des beautés suprêmes, allant aussi jusqu'à disséquer des concepts abstraits tel que la Peur ou le Temps.
C'est aussi un travail de longue haleine et complexifié par un fameux procès, louant l'idée que ce recueil n'est qu'une invitation à la dépravation et au vice, là où Baudelaire voyait tout autre chaise en ce recueil: d'abord un défi à relever pour redresser l'inculture ambiante et la perte des bases de la littérature classique, puis l'envie toute simple d'aller à l'encontre d'une morale mièvre selon laquelle l'homme est toujours forcément bon.
Jamais on ne reverra pareille fresque historique d'un Paris plongé dans cet ennui qui fait tant peur à Baudelaire, jamais on ne reverra pareil état d'une humanité comblée par autant d'horreur que de beauté.
Certes, la qualité se voit forcément variable au vue du nombre important de poèmes, jonglant entre pures merveilles et écrits fait à la va-vite et peu inspirés, et il serait de mauvaise foi de ne pas mentionner que ce recueil possède son lot de poèmes énigmatiques et obscurs, mais il est impossible cependant de ne pas reconnaître l'indétrônable vérité : Baudelaire marque son époque avec ce recueil à la fois auto-biographique et miroir d'un monde dans lequel il peine à s'insérer, cette poignée de fleurs jetée à la figure de l'Homme.