Le Prince
7.7
Le Prince

livre de Nicolas Machiavel (1532)

  • De comment l'on est convaincu de l'impérieuse nécessité d'instituer des freins à la volonté de puissance autant que faire se peut -

"Le prince" et autres textes (qui, dans mon édition, composent plus de la moitié du corpus ) est un livre de politique, voire de sociologie, absolument fascinant au caractère parfois franchement abject et d'un pragmatisme brutal tout le long. Machiavelli nous sert un programme exhaustif et étayé de nombreux exemples, presque tous issus soit de l'antiquité soit de son époque trouble des condottiere (ordures de mercenaires alors fort puissantes dans le nord de l'Italie, morcelée en une quantité de principautés ), de comment un prince est en mesure de gagner le pouvoir et surtout de comment il doit s'efforcer de le conserver.

Premièrement,oui, ce livre est assurément machiavélique, au sens du mot tel qu'il est employé de nos jours, contrairement à ce que beaucoup semblent vouloir contredire, ou du moins minimiser et relativiser. Justement, l'auteur se fait l'apôtre de ce fameux relativisme qui gangrène l'Occident jusqu'à la purulence et s'est installé jusque dans les esprits les plus ouverts et les plus simples.
En effet, l'on puis dire, que par bien des aspects, il est un annonciateur du climat politique, voire intellectuel de nos jours. Est- ce de son fait ou doit on y voir la marche inéluctable de l'évolution historique des moeurs et des mentalités marquées par un matérialisme grandissant, un abandon progressif de la religion ainsi qu'une perte de foi en l'humanité ?
Quoi qu'il en soit, bien que le texte ne soit pas un manuel du mal absolu, loin s'en faut, il déborde de cynisme et est aussi retors qu'on eut pu l'attendre sans se priver de petites touches de misogynie écoeurante comme ici :

" Je crois aussi qu'il vaut mieux être hardi que prudent, car la fortune est femme, et il est nécessaire, pour la tenir soumise, de la battre et de la maltraiter ".

Ah l'héritage glorieux des anciens qu'on vous dit ! Qu'il devait être bon le temps ou les femmes avaient le même statut que celui des esclaves et ne pouvaient accéder à la citoyenneté et ne pouvaient sortir faire leurs courses sans être accompagnées de quelques chaperons d'esclaves tout aussi misérables qu'elles.

De plus ,c'est un fan incontestable de l'empire romain ( dont on vit aujourd'hui sous la continuation qui a pris la forme de l'impérialisme militaire et culturel américain dont les européens sont les complices de par leur servilité au sein des pactes atlantistes et autres joyeusetés de ce genre ) et le haissant au plus haut point, l'on est partis sur de mauvaises bases ,lui et moi.
D'ailleurs en romain convaincu, c'est un universaliste patenté qui donne les atours de la vertu à cette caractéristique providentielle qui accorda toujours les meilleurs prétextes à tous les ambitieux condescendants et bouffis d'orgueil pour aller imposer leur lois et leurs coutumes au monde entier, bien certain qu'il ne pourrait en exister de meilleures et allant jusqu'à s'offusquer lorsque les habitants de ces rivages lointains n'acceptaient pas avec suffisamment d'enthousiasme leur entreprise de virtu comme dirait notre intéressé, mot qui semble recouvrir les définitions de puissance et de volonté...
Il est de ces hommes et il s'en trouve beaucoup comme lui, qui ne respectent que la grandeur et la gloire même si celles ci sont entachées des pires intentions et parfois des crimes les plus odieux.
En réalité, Machiavelli est un fervent militariste, il semble habité d'une certaine nostalgie des temps de Sparte ( bien qu'encore une fois, je ne nie pas la pertinence de ses observations par rapport au fait que cet état sut venir à bout d'athéniens ramollis et dressant le parallèle avec son époque qui ne parvenait pas à former d'armées excellentes ) .
Il n'y a qu'un homme de lettres tel que lui, contrarié par la fortune changeante de sa vie, pour exprimer une telle ambition et une telle admiration pour les choses de la guerre. Peut être s'il avait eu à la faire en aurait-il parlé avec plus de circonspection...
Dans son texte, il professe quelquefois la vertu mais seulement lorsqu'elle n'offre que des avantages, seulement le sage sait bien que cette route est toujours plus ardue. Est-ce pour cela qu'on ne doit pas l'emprunter ? Et à forciori doit on offrir toute la savante science des manigances politiques au premier prince venu en faisant fortes courbettes ? Cela me semble assez inconsidéré et dangereux.. Je dis cela en réponse à ce qu'ont pu dire certains philosophe des lumières: que l'auteur avait voulu vendre la mèche et révéler au peuple la vraie nature du pouvoir. J'ai du mal à les croire dupe d'une niaiserie pareille étant donné le ton qu'il emploie souvent pour discourir de ce peuple et étant donné que ses lecteurs ne viendraient jamais en premier lieu de cette catégorie de la population.

C'est simple, Machiavelli me fait penser à ces gens de droite qui se plaignent sans cesse que leur pays soit vendu en pièce détachée par de puissants patrons lobbyistes et que la politique leur soit dictée par des théocrates de l'union européenne que personne ne connaît et que personne n'a jamais élu mais qui tombent en pamoison devant l'autorité, la rigueur et les prouesses militaires du reich ou qui se tatouent SPQR sur le bras sans plus songer que ce sont leurs adeptes qui coupaient les mains de leurs aieux gaulois( par exemple )...
Ils veulent bien parler de liberté mais ils ont une telle terreur de finir dindons de la farce ou se retrouver en position de faiblesse qu'ils se rendent à la nécessité d'adhérer à ces gouvernements tyranniques qui les fascinent par leur puissance. C'est d'ailleurs compréhensible, dans une certaine mesure, cependant ces gens n'ont pas la vertu pour soutenir leur cause sans se transformer à leurs tours en despotes. Forcément, si l'on prend pour mesure de ses actes, tout le mal et la bassesse qui se trouve dans le Monde, sous le prétexte, en grande partie exacte d'ailleurs, qu'il obtient des résultats plus rapides, aisés et même plus sûrs , on en vient à fabriquer l'enfer sur Terre.

Je suis très conscient des immenses faiblesses humaines et pourtant, la noirceur de sa vision de l'humanité, laquelle lui permet, bien entendu, d'excuser toutes les bassesses de gouvernements, m'a régulièrement étonnée.
Pour illustrer ce que j'avance, je vais citer quelques extraits. Alors même que l'auteur prend un chapitre pour expliquer comment des généraux romains ont obtenu des résultats brillants avec des méthodes opposées, l'un humain et l'autre sévère et cruel, voilà ce qu'il déclare :

"Mais quand un prince conduit une armée et commande à une multitude de soldats, c'est alors qu'il ne se faut nullement soucier de passer pour cruel car sans ce nom, une armée n'est jamais unie ni prête à toute opération. "

Une autre incohérence, alors qu'il manifeste une admiration sans bornes pour les prouesses guerrières des anciens romains et autres, voici ce qu'il dit ici, confirmant bel et bien qu'il est un ancêtre de ces théocrates vicieux qui savent lier les peuples par des lois sans fins et toujours plus complexes et injustes, plus sûrement qu'en leur imposant le respect de par leur grandeur.

Il faut donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par les lois, l'autre par la force: la première est propre aux hommes, la seconde aux bêtes; mais comme la première bien souvent ne suffit pas ( remarquez comme il le regrette ) , il faut recourir à la seconde. "

Un autre extrait qui illustre sa vision très négative du Monde mais qui est aussi fort inexact puisque l'on a vu à plusieurs reprises que ce n'était pas les masses ignorantes et débiles qui concrétisaient les changements mais bien une petite minorité de personnes informées et déterminées comme ce fut le cas pour les chrétiens lors des premiers siècles qui étaient très minoritaires mais qui ont su imposer leur religion à un empire !

" (...) or ,en ce monde il n' y a que le vulgaire ; et le petit nombre ne compte pas quand le grand nombre a de quoi s'appuyer. "

Certes, il défend le peuple par endroits mais il reste un aristocrate convaincu. J'en veux pour preuve qu'il qualifie de cupidité le fait que la plèbe romaine voulait s'élever vers la richesse des nobles !
Et il juge bonnes les volontés du peuple tant qu'il n'a à coeur que la guerre, le bien de l'état mais lorsqu'il souhaite empêcher l'établissement d'une noblesse comme à Venise, il devient à ses yeux irraisonnable, capricieux et vil !!

Toutefois, les qualités de ses observations et de ses démonstrations, basées sur une solide connaissance de l'antiquité, sont indéniables et sa lucidité fait merveille, cependant ,le livre possède possède quelques incohérences et a eu un impact sans doute trop néfaste que ne pour ne pas lui en tenir rigueur. Encore,si Machiavelli avait assumé pleinement son cynisme, j'en aurais été moins agacé mais il essaye implicitement toute le long de l'ouvrage de convaincre que non seulement, c'est la seule manière raisonnable et efficace de procéder mais encore il tente de lui donner une apparence de respectabilité voire de vertu en rabâchant à l'infini la virtu des anciens.
Au risque de me répèter, il a raison en de nombreux points et il a le mérite de démasquer l'hypocrisie de son temps qui se cache bien souvent sous la chasuble de la religion pour se donner un air de sainteté. En bref, il nous rappelle à quel point nous vivons dans un monde pourri, surtout à cause de l'amour du pouvoir et il le fait très bien mais cela n'est pas si révolutionnaire et quant à écrire un essai fournissant tous les moyens de perpétuer cet état de fait -en lui donnant un air de nécessité quasi vertueuse qui flirte parfois avec le sophisme comme lorsqu'il vante avec quelle passion les anciens peuples défendaient la liberté et la république pour conclure que la servitude de la république est la plus dure car étant celle dont ont a le moins de chance de se départir puisque les républiques étant plus solides selon ses conclusions- en est une autre qui ne saurait mériter les louanges.
Au final, Machiavelli sert un discours assez bipolaire car il semble constamment tendre vers une volonté de liberté, tout du moins relative, en voulant impliquer le peuple bien que davantage parce qu'il contribue à l'équilibre et à la puissance d'une république que pour son propre épanouissement, mais il succombe immanquablement à la manière de faire de ceux qu'il critique par moments, par un souci de réalisme sérieux qui se veut seul respectable. Il était clairement terrifié qu'on puisse l'accuser d'être effeminé et d'être perdu dans ses théories derrière son bureau. En cela, il me fait penser à cette dictature de la pensée qui sévit sur le net ou personne ne peut exprimer un avis s'il n'est pas sur le terrain même des évènements, c'est, en tout cas en partie, la pensée qu'on pouvait lui reprocher cela qui a du le pousser à de tels raisonnements.

Si mon réquisitoire peut sembler unilatéral c'est seulement à cause des critiques dithyrambiques qui s'amoncellent sur ce site, c'est pourquoi je me suis senti obliger de développer afin de justifier ma note mais je voudrais reconvenir ici que c'est un ouvrage passionnant dont on peut retirer beaucoup de sagesse à condition de savoir percer à jour les excès et la malhonnêteté d'une partie de sa rhétorique. Et pour équilibrer le tout, voilà des exemples brillants :

" Et comme il y a des cerveaux de trois espèces, les uns qui entendent les choses d'eux mêmes, les autres quand elles leur sont enseignées, les troisièmes qui ni par eux mêmes ni par enseignement d'autrui ne comprennent rien à rien, et comme la première est excellente, la seconde bonne, la troisième inutile (...) "
"Partant, nos princes d'Italie, qui régnaient depuis tant d'années, s'ils ont perdu, depuis, leur principauté, qu'ils n'en accusent point la fortune mais leur lâcheté; car n'ayant en temps de paix jamais pensé que ce temps puisse changer (...), les orages venus, ils ont plutôt pensé à se sauver, pensant que le peuple excédé de l'insolence des vainqueurs les rappellerait. ce parti, à défaut d'autres, est bon; mais c'était très mal avisé d'avoir laissé échapper les autres moyens et remèdes pour celui là, CAR IL NE FAUT POINT SE LAISSER CHOIR EN PENSANT TROUVER QUELQU'UN QUI TE RAMASSE. "

Ce livre est très utile puisqu'il montre ou l'on aboutit lorsque l'on n'encourage que sa partie strictement masculine et que l'on se complait dans ce déséquilibre mortifère, sa misogynie le prouve à elle seule avec éclat.

Créée

le 19 août 2022

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