De la principauté en Italie
"Le Prince", ouvrage précédé de la sulfureuse réputation de son auteur Nicolas de Machiavel, fut une lecture le temps d'un après midi aussi plaisante qu'édifiante.
On qualifie généralement de machiavélique une personne sans scrupules, dénuée de toute morale. Un terme pour le moins péjoratif qui naquit en opposition au legs de Machiavel, celui qui osa le temps d'un traité décrire sans complaisances les rouages des puissants, ces princes tous saufs charmants. Car quitte à écrire un ouvrage sur l'exercice du pouvoir, il l'a rédigé sans omettre d'évoquer en détail les leviers politiques les moins reluisants de ces seigneurs... Et de les mettre sur un pied d'égalité avec des méthodes plus vertueuses usitées pour atteindre leurs objectifs : parvenir au pouvoir, l'exercer, éviter d'en choir.
Écrit à peine les guerres d'Italie achevées, Machiavel profite de sa connaissance et de ses fréquentations des seigneurs italiens pour illustrer son propos de multiples anecdotes qui lui étaient contemporaines. Car s'il a recours fréquemment aux figures antiques (Scipion, Hannibal, Darius, Alexandre, etc) pour argumenter par l'exemple, son traité s'applique avant tout et surtout à l'Italie. Cette Italie morcelée, véritable nœud de serpents, entre duchés, villes républiques, états du papes, condottiere en roue libre et autres possessions fantoches pilotées par les royaumes extérieurs.
Au delà du propos décapant de Machiavel sur la pratique du pouvoir, "Le Prince" est de fait un petit bonheur pour qui s'intéresse à cette époque. Lire Machiavel tancer Louis XII pour avoir accumulé les bourdes stratégiques est savoureux ; les Borgias, pourtant évoqués sans complaisance, sont à contratrio souvent érigés en exemples.
C'est là toute l'ambivalence de l'ouvrage. Alors qu'encore aujourd'hui Alexandre le Grand est une figure quasi intouchable dans l'imaginaire collectif car le parfait prince instruit par Aristote, Machiavel ose dire qu'un César Borgia, quoique tyrannique, assassin, cruel, a exercé sa charge avec mesure et discernement, que plus généralement le prince est un homme comme les autres, donc perclus de défauts dont il doit s’accommoder pour gouverner, voire en user quand nécessaire.
Résolulement pessimiste sur la nature humaine (ou réaliste, c'est selon), le propos de Nicolas de Machiavel reste furieusement moderne (à appliquer en entreprise, ça doit faire des dégâts), servi par une plume simple, directe, aérée, qui jamais n'embrouille ou n'égare. Je ne peux que chaudement recommander cette lecture qui distrait autant qu'elle pousse à la réflexion.