Apprendre plaisamment à se noyer dans un verre d'eau

La 4e de couverture ne ment pas : la nature est omniprésente dans ce court roman. Et Grazia Deledda la dépeint très bien. Elle dépeint aussi un univers social, planté en Sardaigne au début du siècle dernière. C'est un intérêt secondaire, indirect de ce roman. Intérêt pour autant limité puisque je trouve les relations sociales assez superflues. La famille apparaît rapidement dans une analepse, mais l'essentiel des interactions ont lieu avec Gabriele - on tourne en rond -, le mari - il est ordinaire et pensé comme tel -, la domestique, son mari, et un voisin aveugle. Ce sont les relations avec ces trois derniers personnages, figures rurales, qui m'ont le plus plu.


Si les relations sont un peu légères, les personnages eux-mêmes sont bien pensés et bien présentés. Je trouve à cette autrice un certain art du portrait.


En parlant de portrait, si ce roman était un tableau, il serait d'une manière expressionniste (voire une simple esquisse). Exubérance de sentiments, divagations de l'héroïne au fil des promenades, des rencontres banales... Économie des figurants et des péripéties. Il m'a semblé que le récit n'était qu'un prétexte pour décrire la Sardaigne et les nuances des sentiments qui peuvent animer une jeune fille pétrie de romantisme. Pris ainsi, c'est réussi. Mais ce n'est pas tout ce que j'attends d'un roman, d'où mon 6/10 ("plaisant" mais pas "marquant").


J'ai lu plusieurs présentations de ce roman: "[elle se marie car] elle n'a d'autre choix que d'accepter, pour échapper à sa condition et quitter son village", "[la péripétie centrale du roman] réveille en elle ses anciens désirs qu'elle oppose à la médiocrité de sa présente situation"...


Je ne suis pas d'accord : le récit ne m'a pas donné à comprendre cet arrivisme, ce mariage "forcé" pour s'extraire d'une condition modeste. Nina semble vivre assez confortablement (peut-être moins après le décès de son père, certes), et les pages 56-58 montrent qu'elle se jette dans le mariage par fierté, romantisme... mais non par calcul.


Quant à la prétendue frustration de la jeune épouse qui serait renforcée par la rencontre de l'ancien amant, ce n'est pas ce qui m'a marqué. La frustration est flagrante le jour du voyage, raconté dès l'incipit, mais l'ancien amant n'est pas encore intervenu dans l'histoire. Une fois convoqué ce personnage, je n'ai pas perçu de regret, plutôt de la rancune aux prises avec une vélléité romantico-mystique de soulager un malade. Tantôt elle adore son mari et se trouve pleinement satisfaite de sa vie ("le début de ma vie d'épouse fut réellement marqué par un je ne sais quoi de fantastique [... et qui ...] nous remplissent l'âme d'émerveillement"). Tantôt elle lui en veut de ne pas la comprendre, de ne pas précéder ses désirs inexprimés... Mais, jeté au milieu de ces anicroches conjugales, Gabriele ne suscite que peur, dégoût, courroux... Et cela parce qu'il vient gâcher les noces de Madame, non parce qu'il réveille une passion qui sommeillait sous les cendres d'un cœur meurtri bla - bla - bla.


Bien au contraire, ce récit n'est mû ni par la passion, ni par le calcul, ni même par une fatalité que Gabriele pourrait davantage incarner. Le vent souffle puis s'apaise, Nina batifole et rêvasse, puis croise Gabriele, alors elle ronchonne, puis se dit qu'elle devrait aller à son chevet faire sa B-A, mais en fait elle tergiverse... et ainsi de suite. C'est une histoire banale - hormis par la démesure des fantasmes de son héroïne - et cela l'empêche d'en faire un grand roman à mes yeux.


Je prends le temps de m'arrêter en particulier sur le personnage principal. L’héroïne est une gamine – jeune en âge, mais aussi immature (de son propre aveu) – et traitée comme telle par les protagonistes. Une gamine atteinte d’une variété de bovarysme qui lui complique l’existence. Elle tombe instantanément amoureuse d’un jeune homme dont elle n’avait jamais eu qu'un portrait parlé, elle agit sottement par fierté mal placée (aurait-elle un trouble oppositionnel ??), s’imagine que le monde entier lui en veut, ou au contraire que le moindre bruit de ruisseau ou volatile de passage est porteur d’une révélation divine… Deledda nous dépeint le hiatus entre une existence sans remous, et une subjectivité à fleur de peau, pour ne pas dire cyclothymique. C’est bien fait, mais ça ne m’a pas enthousiasmé. Plutôt agacé (si c'était l'intention, chapeau !).


J'ai peut-être abordé ce livre avec trop d’attentes : l’aura du Nobel qui entoure l'autrice m’avait fait espérer une œuvre saisissante - quel que soit le côté par lequel viendrait ce saisissement. Or, de saisissement, je n’en ai pas eu. De la complaisance le plus souvent, pour un récit qui coule plaisamment sans trop annoncer de destination. De l’irritation envers l’héroïne, régulièrement. Une réelle appréciation pour de belles pages, de belles phrases, souvent. Mais je me sens inchangé une fois le livre refermé. Un bon moment, mais dont je crains qu'il sera vite soufflé par une lecture plus profonde

LFBuete
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le 2 janv. 2022

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